Le mois dernier, dans une interview exclusive, Joachim du Bellay déclarait son amour à la langue française. Pour lui donner ses lettres de noblesse, il exhortait les poètes à composer en français en imitant les Grecs et les Romains, et, si besoin, en inventant de nouveaux mots. Résultat : notre langue était un méli-mélo de latinismes, d’italianismes, de provincialismes, de néologismes et de termes techniques que les Français eux-mêmes ne comprenaient pas !
Enfin Malherbe vint… mettre de l’ordre dans tout ça ! Vous ne serez pas étonné d’apprendre que ce poète, qui voulait épurer et discipliner la langue française, était adepte des 140 caractères et twittait régulièrement. Pour la première fois, le Projet Voltaire a sélectionné 5 des meilleurs tweets de François de Malherbe sur lesquels repose toute sa doctrine.
Né en 1555 à Caen, Malherbe est d’abord un jeune poète du pur style de La Pléiade dont font partie du Bellay et Ronsard. Il commence donc par imiter ce qu’il reformera plus tard. Néanmoins, quand, à 44 ans, il compose le fameux poème Consolation à M. du Périer, il se distingue déjà de ses devanciers :
« Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin,
Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin. »
Par la suite, ses détracteurs brandiront les vers imparfaits de sa jeunesse pour le décrédibiliser et Malherbe sera forcé de reconnaître que, oui, il « ronsardisait », mais que c’était le sort de tout poète d’alors.
C’est en arrivant à la cour du roi de France que Malherbe va endosser son double rôle de poète et de réformateur du français. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a du pain sur la planche ! En effet, Henri IV, qui semble peu versé dans les lettres, parle la langue gasconne, que les courtisans se plaisent à imiter. Malherbe s’emploie alors à « dégasconiser » le français, et ne se gêne pas pour reprendre tous ceux qui font des entorses aux règles qu’il a lui-même fixées.
Pour mener à bien sa mission de purification du français, Malherbe rassemble autour de lui des jeunes poètes comme Balzac (pas Honoré, l’autre !) et entreprend de corriger, de raturer, d’annoter les œuvres de versification « classiques ».
Il reproche à des poètes comme Ronsard le recours aux allégories, les rimes faciles (ex. : jour / séjour), les enjambements (le sens commence dans un vers et finit dans le suivant), les hiatus (deux voyelles côte à côte), les omissions de lettres et de mots, les mauvaises césures, et plus généralement les sottises et les formules obscures.
Ne cherchez pas : Malherbe n’a laissé à la postérité aucun ouvrage expliquant sa réforme, tout est contenu dans ses traductions et ses commentaires. Il est d’ailleurs plus à propos de parler de « doctrine » que de « réforme ». Malherbe imposait ses principes comme seule et unique vérité, et pouvait compter sur ses disciples pour les défendre.
À force de se montrer intransigeant, et disons-le, carrément hautain, Malherbe gagne sa réputation de « tyran des mots et des syllabes ». Il faut dire qu’il ne l’a pas volée !
Parce qu’il déteste les pléonasmes, il refuse une aumône à un mendiant sous prétexte que ce dernier l’a abordé par « Mon noble gentilhomme ». « Si je suis gentilhomme, je suis noble », lui répond Malherbe du tac au tac !
À Desportes, qui lui tend son recueil de psaumes avant de passer à table, Malherbe a cette phrase assassine : « Ne vous dérangez pas, je les connais et j’aime mieux votre potage. » Sans surprise, dans son Commentaire sur Desportes, Malherbe ne ménage pas ce poète qu’il traiterait aujourd’hui de « ringard ».
Malherbe est un puriste, oui, mais pas au sens de « conservateur », comme on l’entend aujourd’hui. Au contraire, Malherbe veut rendre la poésie populaire et instituer une langue qui soit comprise par tous, les classes élevées comme la foule ! Rappelons, à titre de comparaison, que Ronsard considère que « la poésie doit être faite pour une élite, par une élite ».
Malherbe défend jusqu’à la fin le purisme qu’il a chevillé au corps. Juste avant de mourir, dans une espèce d’agonie, il se réveille pour gronder sa garde-malade qui s’est servie d’un mot impropre. Et comme un ami le somme de rester tranquille, il répond brusquement : « Je maintiendrai jusqu’au bout la pureté de la langue française. » Il s’éteint à Paris, le 16 octobre 1628 conscient que sa « réforme » lui survivra à travers les siècles. RIP @f2malherbe !
Sandrine Campese
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De là haut Malherbe a du se réjouir de la création de l’Académie Française où il aurait eu sa place!
Très certainement ! À quelques années près, c’eût été le premier membre. Mais cette place a échu à Vaugelas : https://www.projet-voltaire.fr/origines/ils-ont-fait-le-francais-le-vrai-faux-de-vaugelas/. Bonne journée.
On peut toujours dire « mercy ! » au sens étymologique de « pitié ! »
Il répondrait: « il n’y a pas de quoi ! »
Sandrine,
Quelle créativité ! Je baisse mon chapeau devant tant d’astuce et de belle impertinence érudite.
Poil à gratter : » sa garde-malade qui s’est servie d’un mot impropre ». Personnellement, je n’aurais pas accordé « servir »: me trompé-je ?
Chambaron
Merci Chambaron pour vos éloges. Comme d’habitude, rien ne vous échappe ! J’ai vérifié de mon côté et il s’agit de distinguer deux cas :
1 – Elle s’est servi du café au petit déjeuner : ici, « se servir » est un verbe occasionnellement pronominal à sens réfléchi : elle a servi quoi ? du café, à qui ? à « se » mis pour elle). Donc pas d’accord
2- Elle s’est servie de sa clef pour fermer la porte : ici, « se servir » est un verbe pronominal non réfléchi avec le sens de « utiliser » et non de « servir à soi-même ». Donc accord.
Conclusion : on écrit bien « elle s’est servie d’un mot impropre » 🙂
Pan sur les doigts !
Oui, c’est juste, et c’est une bien jolie trappe dans laquelle nombre de joueurs de « Une faute par jour » pourraient bien se trouver pris un de ces matins. Les autres pronominaux non réfléchis (s’apercevoir, s’attaquer, s’attendre, etc.) sont moins pervers, sans doute parce qu’ils n’appellent pas la même construction.
Merci en tout cas pour la recherche et la réponse : Malherbe est sans doute heureux à titre posthume de son exemple, dont nous nous sommes si pédagogiquement … servis.
Bien sincèrement
Chambaron
Vous ne croyez pas si bien dire, car c’est à Malherbe que l’on doit toutes les subtilités de la règle d’accord des verbes pronominaux. Et sur ce point, je ne sais pas si on doit lui dire merci !