Pour aborder sereinement la rentrée, plus question de se lever du mauvais pied : vous avez troqué vos tongs et vos espadrilles contre une paire de souliers flambant neufs. Enfin, de chaussures ! Souliers, chaussures… c’est la même chose, non ? Pourtant, aux Galeries Lafayette, le rayon permettant d’habiller ses pieds est très explicitement nommé « chaussures et souliers ». Si ces deux mots étaient synonymes, pourquoi le grand magasin s’évertuerait-il à faire le distinguo ? Pour être fixés, ouvrons le dictionnaire !
Chaussure, le terme générique
Comme son nom l’indique, la chaussure sert à « chausser », à envelopper le pied. Or le verbe chausser est issu du latin calceare, lui-même dérivé de calceus signifiant « soulier ». Par conséquent, c’est la chaussure qui a emboîté le pas au soulier, et non l’inverse.
Au fil du temps, la chaussure a fini par piétiner le soulier, au point de parler, par métonymie, de « la chaussure » pour désigner la fabrication, l’industrie ou le commerce des chaussures.
Mais alors, qu’est-il advenu de notre soulier ?
Soulier, un mot vieilli…
Selon le Littré, le soulier est une « chaussure qui couvre le pied et qui s’attache par-dessus ». D’après cette définition, peut-on dire (sans trop s’avancer)que les baskets sont des souliers ? D’après le DHLF*, c’est une « chaussure à semelle résistante qui couvre complètement ou partiellement le pied, et dont la forme a varié au cours des siècles ». Difficile d’être plus vague… Le soulier n’aurait-il rien de particulier ?
Par le passé, l’expression « soulier en chausson » s’est employée à propos d’un soulier muni d’une simple semelle. S’agissait-il des « souliers apostoliques », depuis rebaptisés « sandales » ? Quant aux « souliers de bois », ils sont devenus des « sabots ». Ajoutons qu’au Québec, les « souliers de bœuf » sont des mocassins : encore une autre sorte de chaussure !
Aujourd’hui, nous parlons encore de « souliers plats » (sans talons) et de « souliers vernis », mais c’est surtout dans les expressions populaires que le mot se rencontre : « débarquer avec ses gros souliers » ou au contraire « être dans ses petits souliers ».
Qu’il soit sandale, sabot ou mocassin, petit ou gros, « soulier » semble, au bout du compte, aussi générique que « chaussure ». Nous voilà bien avancés.
… qui connaît une nouvelle vie !
Aux Galeries Lafayette, la mention « chaussures et souliers » est accompagnée de la traduction anglaise « shoes et boots ». Mais ne nous y trompons pas : si shoes est l’équivalent de « chaussures », boots ne veut pas dire « souliers », mais « bottes » ou « bottines ». Si nous ouvrons un dictionnaire Harrap’s pour chercher la traduction anglaise de « soulier », nous trouvons shoe. Et à shoe, nous trouvons « chaussure, soulier ». Bref, le français « soulier » n’a pas de traduction propre en anglais. Outre-Manche, « chaussure » et « soulier » sont bien synonymes.
Mais alors, pour justifier cette distinction, faut-il remonter à la création des Galeries Lafayette en 1894, date à laquelle « chaussure » et « soulier » étaient encore concurrents ? Bien plus terre à terre, la réponse est à chercher du côté de la stratégie marketing auprès des acheteurs étrangers. Le côté vieilli de « soulier » et le fait qu’il soit intraduisible apportent sans doute une petite touche « rétro » et frenchy, très recherchée dans l’univers du luxe. Pas sûr que les touristes japonais, les plus nombreux à fréquenter ce haut lieu du shopping français, saisissent la subtilité…
* Dictionnaire historique de la langue française
Sandrine Campese
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Je suis bien d’accord avec votre point.
Bonjour Sandrine,
Un grand merci pour vos articles, à la fois pertinents, enrichissants et si bien tournés !
Si je puis apporter une petite précision qui confirme votre analyse relative à l’univers du luxe : chez Vuitton, on parle de « souliers » et non de « chaussures ».
A bientôt de vous lire.
Laurence
Bonjour Laurence, merci à vous pour votre soutien et votre fidélité ! L’exemple que vous apportez confirme l’idée évoquée à la fin du billet : « Le côté vieilli de « soulier » et le fait qu’il soit intraduisible apportent sans doute une petite touche « rétro » et frenchy, très recherchée dans l’univers du luxe. ». Bonne journée et à bientôt !
Ne pourrait-on pas constater une utilisation plus fréquente pour le terme soulier quand il s’agit de l’homme?
Merci de me donner votre avis.
Bonjour Elisabeth, cette préférence ne me semble pas attestée Avez-vous des exemples à nous donner ? Belle journée !