Chaque été, la Ville de Paris propose un programme d’animations culturelles pour enfants qui a pour nom « les Pestacles ». Non, vous n’avez pas un problème de vue, c’est bien « pestacles » et non « spectacles » qu’il faut lire. Les organisateurs ont délibérément repris le mot tel qu’il est prononcé par les enfants pour illustrer le fait que les spectacles ont été créés spécialement pour eux. Loin d’être de la pure fantaisie, ce procédé répond au nom de « métathèse ». Employée par les enfants mais aussi les adultes (pas toujours à bon escient), fréquente dans la publicité, le cinéma ou encore la bande dessinée, la métathèse s’immisce même dans notre vocabulaire courant. Mais comment ?
La métathèse, un jeu d’enfants…
La métathèse consiste à permuter deux lettres qui sont proches à l’intérieur d’un mot. Les enfants transforment en métathèses des mots difficiles à prononcer. C’est le cas de spectacle avec la proximité des consonnes « s » et « p » puis « c » et « t ». Notez qu’au passage, le premier « c » a disparu. Mais pour simplifier la prononciation, les plus jeunes vont jusqu’à ajouter des lettres ! C’est ainsi que le crocodile devient « crocrodile ». Histoire de bien enfoncer le croc, enfin, le clou, signalons que « crocodile » est déjà la métathèse de l’ancien français cocodrille, forme toujours en vigueur en Espagne (cocodrilo) et en Italie (coccodrillo).
La publicité n’est pas la seule à utiliser la métathèse pour s’adresser aux enfants (ou plutôt à leurs parents), le cinéma la pratique aussi. Par exemple, le titre du dessin animé Winnie l’ourson et l’Éfélant repose sur une métathèse, et permet également de nommer un animal imaginaire qui a tout l’air d’un éléphant mais qui n’est pas un éléphant !
Déconseillé aux grands
La métathèse n’est-elle qu’une affaire d’enfants ? Malheureusement, non ! Les adultes en raffolent, mais dans leur bouche, la métathèse devient une faute nommée barbarisme. Parmi les plus courantes : « aéropage » au lieu d’aréopage, « carapaçonner » au lieu de caparaçonner, « infractus » au lieu d’infarctus, « inoptiser » au lieu d’hypnotiser, « rassénérer » au lieu de rasséréner, « rénumérer » au lieu de rémunérer.
Les métathèses s’adressent aussi aux adultes, en témoigne le titre de la comédie policière Le Crime farpait qui détourne Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock. C’est aussi un clin d’œil à la bande dessinée Astérix : dans l’album Les Lauriers de César, Obélix, ivre, répète plusieurs fois l’adverbe « farpaitement ».
Enfin, la métathèse est à la base d’un texte humoristique (précisons que l’Université de Cambridge n’a jamais mené pareille étude) qui tente de démontrer que « l’ordre des lettres dans un mot n’a pas d’importance ». Pour vous en convaincre, il suffit de lire ce texte :
Vous l’avez déchiffré sans problème ? Bravo, vous voilà maître ès métathèses !
Employée dans le langage courant !
Les métathèses ne sont pas toutes enfantines ou « barbares », certaines se sont lexicalisées, c’est-à-dire qu’elles sont entrées dans notre langue. Les trois exemples suivants ont tous trait à la chère (ce qui ne manquera pas de réveiller l’appétit d’Obélix) mais ce n’est que pur hasard :
Le nom fromage est la métathèse de formage en ancien français, du latin formaticus, « fait dans une forme ». En effet, le fromage est un aliment moulé. En permutant le « r » et le « o », le mot s’est éloigné de son sens originel, encore perceptible dans la « fourme », que l’italien formaggio a conservé.
La brebis s’écrivait berbis en ancien français, du latin berbix. Lorsque vous parlez d’un « fromage de brebis », vous offrez à votre interlocuteur deux métathèses pour le prix d’une !
Enfin, gourmet, métathèse de groumet, était à l’origine le valet chargé de conduire les vins. Le mot a certainement opéré sa mutation sous l’influence de « gourmand ». Notez que l’anglais groom provient de la même racine.
En conclusion, si vous dites que « le gourmet aime le fromage de brebis », vous réalisez un « combo » de trois métathèses, à replacer lors d’un dîner entre la poire et… le fromage !
Sandrine Campese
Je ne suis encore jamais intervenu sur ce site intéressant, donc salut à tous et merci à Sandrine Campese pour ces précieuses précisions.
Merci aussi à Chambaron pour ses ajouts.
J’avais oublié ce nom de métathèse depuis que mon dictionnaire de rhétorique avait disparu lors des prémices d’un lointain déménagement. Certains des habitants de ce vieux bouquin refont parfois surface dans ma mémoire, sans que leur soit toujours associée une fonction précise. Ils sonnent alors comme des bribes de poèmes surréalistes : hypallage, boustrophédon, zeugme, synecdoque, concaténation, amphigouri, anaphore…
Pour en revenir aux métathèses, je me permets d’ajouter celles-ci :
— La rivière Olt est devenue le Lot ;
— Dans les opéras, le prénom Roland devient Orlando (à moins que ce ne soit l’inverse) ;
— Enfin, le crocodile se mue parfois en cocodrile dans certaines parties de la Caraïbe.
Merci à vous pour votre intervention très intéressante ! Parmi les autres exemples de métathèses, je connaissais crocodile/cocodrile, mais pas les deux autres. Concernant les figures de style que vous citez, j’ai un petit faible pour le zeugme ;-). Enfin, si vous avez aimé la métathèse, vous aimerez sans doute l’haplologie : http://www.projet-voltaire.fr/blog/origines/figure-de-style-haplologie. Bonne soirée et au plaisir de vous lire à nouveau.
Appelons les choses par leur nom de rue : la métathèse est la forme de salon de la contrepèterie de bouffons ! Pourtant tant d’auteurs l’ont pratiquée, de Rabelais à l’Album de la Comtesse de notre cher « Canard ». Mais ce n’est pas le lieu, et je ne commence pas…
Cependant, dans les grands classiques étymologiques, il serait triste d’oublier :
– Moustique : métathèse au XVIIe siècle de mousquite, espagnol mosquito, de mosca « mouche »;
– Tremper : altération de temprer « mélanger » (latin temperare), qui a donné tempérer.
De quoi meubler l’antithèse entre la foire et les pro-mages à l’Éphipanie (la fête de tous les pains)…