Depuis longtemps sans doute, vous avez perdu l’habitude de vous adresser à votre patron ou plus simplement à votre supérieur hiérarchique… car vous participez à des « conf calls » (conférences téléphoniques) avec votre « manager », c’est-à-dire un cadre d’entreprise qui se charge de suivre et d’évaluer votre travail. Vous avez une feuille de route à tenir, mais on vous parle plus volontiers de « deadlines » à respecter. Vous n’effectuez plus une vérification, mais un « check ». Vous ne disposez pas de votre propre bureau : vous travaillez en « open space » (« espace professionnel ouvert »). Enfin, vous avez des tâches à réaliser que, sans doute, vous réunissez dans une « to-do-list ». D’ailleurs, vous devez faire tout cela « ASAP », c’est-à-dire « as soon as possible » ou… dès que possible en français.
Au bureau, l’anglais est devenu omniprésent. Plus exactement, on devrait dire que certains mots venus d’outre-Manche (ou le plus souvent d’outre-Atlantique) s’imposent pour décrire certaines tendances, certains événements, certaines pratiques du monde du travail. Nous vous proposons ci-dessous un tour d’horizon non exhaustif et nous nous permettons de suggérer au passage quelques termes français permettant de remplacer ces mots anglais dans notre quotidien professionnel… au risque peut-être de provoquer quelques haussements de sourcils surpris de la part des collègues.
Sommaire :
- Ces termes que tout le monde ou presque connaît…
- Ces termes que l’on connaît peut-être un peu moins…
- Les noms de métiers
- Ces nouvelles tendances au travail que l’on décrit avec des mots anglais
- Ces mots anglais pour dire que ça ne va pas
- Des emplois pas toujours appréciés…
- « Quiet » : beaucoup de silences dans le monde professionnel
Ces termes que tout le monde ou presque connaît…
Commençons par le « coworking ». Il s’agit du fait de partager un même espace de travail pour des professionnels indépendants les uns des autres. En français, pour traduire cette idée, on peut dire et écrire « cotravail » selon FranceTerme et Le Robert.
En ce qui concerne le « reporting », le mot français « compte rendu » pourrait le remplacer assez avantageusement (selon FranceTerme), ainsi que le nom « rapport » (selon l’Académie française). Quant au « feedback » (ou « feed-back », littéralement « ce qui nourrit en retour »), il pose problème : il s’agit d’éléments d’information que l’on donne à une personne afin qu’elle améliore quelque chose. FranceTerme propose « bilan pédagogique » et l’Académie française « retour », tout simplement. Les Sages notent à cet égard que l’utilisation de cet anglicisme est inutile, l’équivalent français étant satisfaisant. Enfin, Le Robert propose la traduction « retour d’expérience ».
Enfin, le « brainstorming » (littéralement « tempête de cerveau ») peut également s’avérer complexe à traduire, en tout cas en un seul mot : FranceTerme propose l’original « remue-méninges ». Le Larousse va dans le même sens, ainsi que Le Robert.
Ces termes que l’on connaît peut-être un peu moins…
Vous savez probablement ce qu’est un « lead » : il s’agit du contact d’un client potentiel… ce que l’on cherche à obtenir pour vendre des services ou des produits. Le mot vient du verbe anglais « to lead » qui peut signifier « amener » : en l’occurrence, on amène quelqu’un à acheter. Mais ce verbe peut aussi signifier « mener » ou « être à la tête de ». D’où, peut-être, cette drôle d’expression que l’on entend parfois en entreprise : « prendre le lead », c’est-à-dire « prendre la tête » selon l’Académie française.
Le « benchmark » (« repère » ou « référence ») désigne tout simplement l’étude des pratiques utilisées par d’autres entreprises. Cela n’est pas facile à traduire en peu de mots. Pour le traduire, FranceTerme suggère « test de performance » et Le Robert propose « référenciation », autrement dit une procédure d’évaluation par rapport à d’autres modèles connus, et qui s’inscrit dans une démarche d’excellence.
En entreprise, notamment lors d’un recrutement, on est amené à s’intéresser aux « hard skills » et aux « soft skills » des candidats. La première expression peut se traduire par « savoir-faire professionnels » et la seconde par « savoir-être professionnels » (FranceTerme).
Il existe de nombreux autres mots étranges, anglais ou dérivés de l’anglais, qu’on utilise dans le monde de l’entreprise : le « rewriting » (« réécriture » selon les dictionnaires Larousse et Le Robert, lequel accepte aussi « adaptation »), ou encore « l’update ». Ce dernier terme signifie « mise à jour » et, par extension, est utilisé pour désigner une mise au point sur une situation. Côté traduction, l’Académie française ne suggère que des équivalents relatifs au domaine informatique : pour « updater » sont ainsi proposés « mettre à jour », « moderniser » et « améliorer ».
Je m’entraîne grâce au Projet VoltaireLes noms de métiers
Nombre d’intitulés de postes sont à présent déclinés en anglais… ce qui est fort dommage. Après tout, un « community manager » peut tout à fait être un « animateur de communauté » (selon FranceTerme) ou un « gestionnaire de communauté » (Larousse). Un « freelance » peut être, quant à lui, un « indépendant » (Le Robert) ou un « professionnel indépendant » (Larousse).
Pour ce qui est du « product owner », en l’absence de toute indication par l’Académie française et les dictionnaires de référence, il faudrait certainement traduire par « chef de produit » ou « chef de projet ». Le « customer success manager », lui, est littéralement le « responsable du succès du client ». Quant au « chief happiness officer », il est le « responsable du bonheur » : son rôle consiste à améliorer le bien-être de ses collègues au sein de l’entreprise. Des versions françaises relativement claires ! Attention cependant, pour ces trois derniers noms de métiers, les traductions données ne sont pas proposées par les dictionnaires Larousse et Le Robert ou par l’Académie française.
Ces nouvelles tendances au travail que l’on décrit avec des mots anglais
L’anglais ne s’est pas immiscé seulement dans les procédés techniques. Il permet aussi de décrire ces nouvelles ambiances et tendances au travail, ou encore certaines méthodes de recrutement. Par exemple, vous avez très certainement entendu parler du « job dating ». Il s’agit d’un entretien d’embauche durant lequel plusieurs candidats sont conviés – souvent dans un cadre convivial – et qui permet d’en recruter beaucoup à la fois. On pourrait sans doute parler d’un « entretien d’embauche minute » (FranceTerme).
D’autres tendances pourraient vous étonner. Par exemple, connaissez-vous le « green desking » ? Cela consiste, pour les salariés, à se « mettre au vert » pour quelque temps avec l’accord de leur direction : en pleine nature, dans un parc, etc. Comment le traduire ? Encore une fois, les sources mentionnées tout au long de cet article ne donnent pas d’indication. Notons cependant que Le Robert propose la traduction « écoblanchiment » pour le mot « greenwashing ». Par analogie, peut-être pourrait-on traduire « green desking » par « écobureau » ?
Autre tendance : le « body doubling ». Cela consiste à travailler avec quelqu’un près de soi – pas forcément sur la même tâche – afin d’améliorer sa concentration. Pourrait-on parler de « travail en binôme », ou plus simplement du « travail côte à côte » ? Là encore, impossible de l’affirmer en l’absence de toute confirmation par l’Académie française, FranceTerme et les dictionnaires de référence.
Plus étrange encore, connaissez-vous le « coffee badging » ? Cette tendance née après le covid consiste à venir au bureau à un moment où l’on est en télétravail, mais seulement pour quelques minutes ou quelques heures, le temps de partager un café avec les collègues, avant de retourner travailler chez soi. Nous ne nous aventurerons pas à suggérer une traduction : les sources mentionnées plus haut n’en donnent pas.
La langue de Shakespeare s’est également immiscée dans des attitudes ou des ressentis. Prenez ces personnes qui, en entreprise, refusent d’être considérées comme de « vieux » salariés proches de la retraite : certains se qualifient eux-mêmes de « nolds » (contraction de « never old »). La traduction, encore une fois, s’avère complexe, car ni les dictionnaires ni l’Académie française ne se positionnent. Peut-être faut-il ruser un peu et proposer « quincajeunaires » et « sexajeunaires » ? Attention, ces traductions ne sont aucunement validées par une quelconque source officielle !
Ces mots anglais pour dire que ça ne va pas
Tout ne va malheureusement pas toujours bien dans le meilleur des mondes professionnels. Nombre d’expressions anglaises sont là pour nous le rappeler. Par exemple, connaissez-vous le « act your wage » ? Cela traduit le ras-le-bol de la surperformance et de la productivité à tout prix. « Act your wage » signifie littéralement « Agis à la hauteur de ton salaire »… et pas davantage. Une manière de revendiquer un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Comment le traduire ? Sur cette expression (comme sur celles qui suivent dans cette partie de l’article), nous ne disposons encore une fois d’aucune réponse officielle.
Il faut croire que tous les employeurs n’entendent pas les demandes de leurs collaborateurs, car on a récemment entendu parler du « rage applying », une tendance qui consiste à candidater à de nombreux postes alors que l’on a déjà un emploi, le plus souvent parce que l’on estime que les conditions de travail ne sont pas bonnes ou le salaire, pas assez haut.
Et quand cela ne suffit pas, on peut assister à un « big quit », autrement dit un phénomène de démissions massives (que les médias traduisent parfois par « Grande démission »). Remarquons aussi au passage que certains salariés pratiquent le « conscious quitting », ou « démission consciencieuse » : cela consiste à chercher un emploi ayant un impact positif sur l’environnement ou la société.
Enfin, peut-être avez-vous entendu parler par ailleurs du « Bare Minimum Monday » ou « lundi du minimum juste ». Il désigne ce mouvement invitant à rendre le travail du lundi moins accablant, afin de passer une meilleure semaine.
Des emplois pas toujours appréciés…
L’expression « bullshit job » (littéralement « métier de merde » ou « boulot à la con », pardonnez-nous l’usage de grossièretés…) a été popularisée depuis la parution d’un article de l’anthropologue américain David Graeber. Elle désigne des métiers inutiles, superflus, sans valeur ajoutée. D’autres termes, depuis, s’inscrivent dans cette tendance : on parle volontiers par exemple de « bore-out jobs » (« emplois ennuyeux ») ou de « brown-out jobs » (« emplois sans sens »).
Quant au « burn-out », il désigne une fatigue extrême et une souffrance telle au travail que le salarié est contraint à cesser toute activité. Sur cet anglicisme, FranceTerme se positionne en proposant en traduction « syndrome d’épuisement professionnel ». L’Académie française également, ainsi que le dictionnaire Larousse.
Je m’entraîne grâce au Projet Voltaire« Quiet » : beaucoup de silences dans le monde professionnel
Finissons avec la vague des « quiet », ces silences qui en disent souvent long sur les relations entre employés et employeurs. Il y a d’abord le « quiet quitting », ou « démission silencieuse » (les médias parlent parfois de « désengagement professionnel ») : elle est le fait de salariés qui restent en poste, mais choisissent d’effectuer le strict minimum et de ralentir autant que possible leur rythme de travail.
De l’autre côté, on parle de « quiet firing » ou « quiet cutting » (« licenciement silencieux », « licenciement déguisé ») lorsqu’un employeur fait en sorte de pousser un salarié à la démission.
Les choses ne s’arrêtent pas là. Connaissez-vous le « quiet promoting » ? On pourrait traduire cela par « promotion silencieuse » ou « promotion sans salaire » puisque cela consiste à donner davantage de responsabilités à un salarié sans augmenter son salaire.
Il y a cependant aussi du positif ! Ainsi, le « quiet hiring » désigne les « promotions silencieuses » que l’on accorde aux salariés désireux de s’investir davantage et d’acquérir de nouvelles compétences. Et côté salarié, il existe le « quiet thriving » ou « épanouissement silencieux » : cette tendance est le fait de salariés qui choisissent de reconsidérer leurs tâches et leurs missions professionnelles de manière à obtenir davantage de satisfaction au travail : une sorte de changement d’état mental afin de voir son quotidien sous un jour nouveau.
Attention cependant : ni les dictionnaires ni l’Académie française ne proposent pour l’heure de traduction officielle pour ces anglicismes.
Psst : nous n’avons évidemment pas parlé de tous les mots anglais qui se glissent dans notre quotidien professionnel. Il existe aussi le « shift schock », le « resenteeism », le « career cushioning »… En utilisez-vous d’autres ?