C’est désormais la tradition au Projet Voltaire : analyser les mots qui font leur entrée dans les deux dictionnaires de référence : Le Petit Larousse et Le Petit Robert. Si le dictionnaire est censé être une « chambre d’enregistrement de l’usage », entérinant l’adoption de nouveaux mots employés dans le français courant, il fait aussi la part belle à des termes moins connus, parfois venus d’ailleurs, qui enrichissent et précisent notre langue. Quelle que soit la nature de ces mots, ils sont le reflet de la société : de nos comportements, de nos inquiétudes, de nos aspirations… Illustration avec notre sélection spéciale « 2023 ».
La crise sanitaire est encore parmi nous
On préférerait les oublier, mais les mots liés au Covid-19 continuent d’investir nos dictionnaires. Chez Larousse, on retrouve les termes de covid long, passe sanitaire, passe vaccinal, vaccinodrome et vaccinateur. Mais aussi des mots liés aux adaptations économiques et sociales découlant de la pandémie : commerce essentiel, distanciel, présentiel, visio…
À noter, l’apparition de deux termes opposés : les enfermistes, pour qualifier les adeptes du confinement strict, vs les rassuristes pour désigner, à l’inverse, les scientifiques qui ont minimisé la pandémie.
Chez Le Robert, qui avait déjà adopté les termes covid long et écouvilloner, on remarque l’apparition de l’adjectif covidé : « qui est atteint du covid ».
Notre société poursuit ses mutations
À l’honneur cette année, un mot apparu dans le débat public, notamment lors de la campagne présidentielle de 2022 : le wokisme. Il fait son entrée simultanément dans les deux dictionnaires.
Pour Larousse, c’est une « idéologie d’inspiration woke, centrée sur les questions d’égalité, de justice et de défense des minorités parfois perçue comme attentatoire à l’universalisme républicain ».
Pour Le Robert, le wokisme est un « courant de pensée d’origine américaine qui dénonce les injustices et discriminations ; mouvement, pensée woke ».
La lutte contre toutes les formes de discrimination est également représentée, avec l’entrée, chez Larousse, de la grossophobie, « attitude hostile, moqueuse et/ou méprisante, voire discriminatoire, envers les personnes obèses ou en surpoids » ; et, chez Robert, de la glottophobie, « discrimination basée sur certains traits linguistiques, notamment les accents ».
La question de l’identité de genre ayant émergé comme sujet de société, Le Robert fait entrer le verbe dégenrer, c’est-à-dire « supprimer toute distinction en fonction du genre pour favoriser la mixité et l’égalité ». Quant au pronom iel, qui avait fait couler tant d’encre à l’automne 2021, il confirme son entrée chez Le Robert, qui précise cependant que son usage est rare : « Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier (iel) et du pluriel (iels), employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. »
L’écologie reste un sujet très prégnant, au point de faire naître de sérieuses inquiétudes, comme en témoigne le néologisme écoanxiété, apparu depuis longtemps au Canada, et que Le Robert définit comme « l’anxiété provoquée par les menaces environnementales qui pèsent sur notre planète ».
Autre sujet d’anxiété potentielle, le séparatisme, intégré chez Larousse et défini comme la « volonté d’une minorité, généralement religieuse, de placer ses propres lois au-dessus de la législation nationale ».
Nous restons, évidemment, très connectés
Un mot, ou plutôt un sigle assez technique, fait son apparition simultanée dans les deux dictionnaires. Il s’agit du NFT, de l’anglais « Non Fungible Token », autrement dit « jeton non fongible ». Pour Le Robert, c’est un « certificat cryptographique associé à un objet numérique (image, vidéo, musique…) dont l’authenticité et la traçabilité sont garanties par la blockchain ». Pour Larousse, c’est plutôt un « fichier numérique non reproductible et infalsifiable représentant un actif unique, objet virtuel ou physique (œuvre d’art, tweet, morceau de musique, etc.), qui est répertorié dans une blockchain et auquel est associé un certificat digital d’authenticité et de propriété ».
Pas simple à saisir dans les deux cas !
Larousse consacre un autre mot proche : le crypto art, c’est-à-dire le mouvement artistique qui produit des NFT.
Des mots formés sur cyber- et dénonçant des pratiques illégales font leur apparition : cyberharcèlement chez Larousse et cyberespionnage chez Robert.
Quant au nom instagrameur, le Robert le définit comme une « personne (influenceur, créateur de contenu) qui exerce son activité en publiant des photos et des vidéos sur son compte Instagram ». On notera que nombre d’instagrameurs sont des vingtenaires, c’est-à-dire des « personnes dont l’âge est compris entre vingt et vingt-neuf ans ».
Nous aimons voyager et régaler nos sens
Un peu plus de légèreté et de plaisir à présent : les mots suivants vont parler à vos papilles et à vos pupilles.
Ainsi chez Larousse retrouve-t-on le merveilleux, la célèbre pâtisserie, et d’autres mets qui font voyager, comme le poke ou « poke bowl », venu d’Hawaï, et l’halloumi, un fromage chypriote que l’on déguste grillé dans des salades.
Autres mots à consonance atypique pour nous autres, francophones : le konjac (une plante japonaise utilisée en cuisine), le kakapo (perroquet néo-zélandais), le tomte (lutin suédois), le yodel (un type de chanson autrichienne), la K-pop (pour Korean pop, un genre musical issu de la Corée du Sud), enfin, l’anglais chick lit (littérature pour jeunes femmes).
Côté régionalisme, on notera notamment l’entrée du pinzutu, bien connu des Corses, puisqu’il désigne le Français venu du continent pour passer ses vacances sur l’Île de beauté.
Les jeunes nous inspirent
Comme à son habitude, et fidèle à l’esprit de son regretté lexicographe Alain Rey, Le Robert intègre un certain nombre de mots du « parler d’jeuns », à savoir : bail,« chose que l’on ne peut nommer » ou encore « affaire, projet mal défini », ainsi « c’est quoi les bails ? » équivaudrait à « quels sont les plans ? » ; chiller, du verbe anglais to chill, « prendre du bon temps à ne rien faire » ; gênance, « sentiment de gêne, de malaise éprouvé dans une situation embarrassante » ; et enfin go, mot originaire d’Afrique de l’Ouest, qui désigne familièrement la jeune fille, la jeune femme, ou la petite amie.
Sandrine Campese
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On écrit présentiel avec un t, mais distanciel avec un c…
Qui pourrait m’en expliquer la logique ?
Julien Soulié, il va encore falloir trouver un moyen mnémotechnique…
Bonjour Virginie, deux terminaisons qui se prononcent de la même façon, mais s’écrivent différemment : -tiel pour l’un, -ciel pour l’autre. Pourquoi ? Parce que « présentiel », calque de l’anglais presential, a été formé sur « présent », qui se termine par un « t », alors que « distanciel » a été formé sur « distance ». Bonne journée.
Facile nous gardons la racine du mot !
Bonjour, nous avons déjà répondu à Virginie sur ce point et ce n’est pas une question de racine. Sinon on écrirait spontanément « présence » –> « présenciel ». Or, c’est « présentiel » qu’il faut écrire puisque le mot est formé sur l’anglais presential. Bon après-midi.