« Faire un pays », « faire de l’argent »… Et si l’on cessait d’employer « faire » à toutes les sauces ?

C’est un des verbes les plus communs en français : « faire ». Et pour cause, c’est le verbe d’action par excellence. Or, il tend de plus en plus à remplacer des verbes, pourtant appropriés, afin de former des expressions qui n’ont pas grand rapport avec la création ou la réalisation. Une fois ce constat « fait », et si l’on regagnait en élégance et en précision en réhabilitant les verbes idoines et en remettant « faire » à sa place ?

FAIRE UN PAYS

Tendez l’oreille, tout le monde le dit ! « Moi, l’année dernière, j’ai fait l’Argentine » ; « On aimerait bien faire le Japon au printemps prochain. » ; « Brésil, États-Unis, Russie… Tu as vraiment fait tous ces pays ? ».

Comment « faire » a pu remplacer des verbes aussi évidents que « aller dans un pays », « se rendre dans un pays », « visiter un pays » ou tout simplement « voyager » ?

Certainement, par troncation de l’expression « faire un voyage ». « J’ai fait un voyage en Italie » est devenu « J’ai fait l’Italie », bien plus court que les constructions précitées !

Au passage, cela peut paraître bien présomptueux : toute l’Italie ? Alors qu’« en Italie » supposait qu’on s’était rendu dans le pays, à un ou plusieurs endroits en particulier.

Il faudra donc préciser « Tu as fait quelle ville en Italie ? », « J’ai fait Florence pendant deux jours, puis Rome pendant trois jours. » Logique, quand on sait que Rome… ne s’est pas faite un en jour ! « Faire », accolé au nom de cette ville jadis empire, reprend ici tout son sens : construire, ériger, édifier… ou bâtir des châteaux en Espagne !

À lire également sur notre blog : « J’ai été » ou « je suis allé » ?

FAIRE UNE MALADIE

Cette expression, que ne l’a-t-on pas entendue ces dernières années ! Et ce, même dans la bouche de médecins et autres spécialistes de la santé, qui disposent pourtant d’un certain vocabulaire !

Exemple : « Le vaccin permet de réduire les probabilités de faire la maladie ». « La maladie », car il s’agissait alors de la Covid-19, mais l’on pourrait tout aussi bien entendre « faire une maladie ».


Comment expliquer cet usage ? Est-ce par calque de l’expression figurée « en faire une maladie », qui signifie « dramatiser une situation ». Pourra-t-on désormais dire « Si tu fais une maladie, n’en fais pas une maladie ! » ?

« Faire » n’apporte vraiment pas grand-chose ici, d’autant que nous avons à disposition quantité de tournures qui, jusque-là, faisaient parfaitement l’affaire : avoir une maladie, attraper une maladie, contracter une maladie, être atteint d’une maladie ou… être malade, tout simplement.

FAIRE DE L’ARGENT

Encore une expression très à la mode depuis quelques années. Elle semble avoir été popularisée en 2020 par un jeune influenceur du nom de Jean-Pierre Fanguin. Dans une célèbre vidéo, ce dernier exhortait les internautes à « commencer très rapidement à faire de l’argent avec [lui]. »

Pourquoi pas « gagner de l’argent », selon l’expression française consacrée ? Sans doute parce que « faire de l’argent » est la traduction littérale de l’anglais « to make money ». Et l’anglais, c’est cool ! Peut-être aussi que « gagner » suppose de faire un effort, de se donner de la peine (« No pain, no gain », disent encore les Anglais). Avec « faire », l’argent promis semble plus facile, plus accessible, plus immédiat…

Cette analyse est d’ailleurs confirmée dans la vidéo, puisqu’il est question de « faire de l’argent grâce à ton téléphone. »

Certes, de ce jeune influenceur, nous avons surtout retenu cette « phrase choc » à la grammaire fort audacieuse : « Moi j’pense la question elle est vite répondue. »

FAIRE UN ÂGE

« Elle a quel âge, ta fille ? », « Elle va faire cinq ans ». Alors, d’accord, « avoir » comporte une syllabe de plus que « faire », dont le « e » est muet. Mais est-ce vraiment si long que cela de dire « Elle va avoir cinq ans » ? On peut même encore raccourcir : « Bientôt cinq ans » ! Qui dit mieux ?

En effet, « on a un âge », « on ne fait pas un âge », sauf si « on ne fait pas son âge » ! Cette expression, bien sûr, existe, mais elle figée. « Ne pas faire son âge », c’est paraître plus jeune que l’âge que l’on a réellement.

Certes, on dit bien de quelqu’un qui a quarante ans qu’il en « fait trente », autrement dit, qu’il en « paraît trente ». Il faut croire que ce glissement d’avoir à faire dans « faire un âge » est dû à ces différentes expressions.

FAIRE MÉDAILLE

Récemment, j’ai entendu un athlète dire : « J’ai fait médaille de bronze au J.O. » Comme pour « faire de l’argent », l’expression française consacrée est pourtant « gagner une médaille ».


Sinon, que dirait un orfèvre qui serait effectivement en train de « faire une médaille », c’est-à-dire de la fabriquer ?

« Faire » sert-il ici aussi à atténuer l’effet que « gagner » pourrait induire ? Si oui, il est dommage que l’exploit passe davantage inaperçu avec « faire », qui le met presque à la portée de tout le monde.

Dans la même veine, on peut citer :

Faire premier (ou deuxième, troisième…). Il est de plus en plus « courant » d’entendre « J’ai fait premier » plutôt que « J’ai fini premier » ou « J’ai terminé premier » à une course. Est-ce parce que « finir » ou « terminer » supposent la fin, le final, donc le dernier ? Et que l’expression peut paraître un peu antithétique à l’oreille ? Si oui, il est toujours possible de dire « Je suis arrivé premier à la course. », certes un peu plus long à dire que « faire premier », surtout si l’on est essoufflé.

Faire champion. Dire « j’ai fait champion olympique », alors que l’on a à disposition nombre d’expressions bien plus intéressantes et remarquables : « Je suis devenu champion olympique », « j’ai été sacré champion olympique », etc.


Sandrine Campese

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