Quel est le point commun entre le général de Gaulle, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ? Ils ont tous utilisé, durant leur mandat ou au cours d’une campagne, au moins un néologisme. Que se cache-t-il derrière ces mots oubliés, soudain promis à une seconde vie ? Sont-ils le fruit d’une stratégie de communication bien définie, ou au contraire celui de la spontanéité, voire de la maladresse de leurs auteurs ? Retour sur quelques bons mots passés à la postérité.
De Gaulle : un mal, des mots
Sans surprise, le général de Gaulle, qui possédait de nombreux livres et le sens de la formule, nous a laissé deux néologismes subjectifs : l’adjectif quarteron et le nom chienlit. Même contexte de crise, même connotation péjorative, ils ne sont pas le fruit du hasard. Pour de Gaulle en effet, le langage, véritable arme politique, sert tour à tour à galvaniser (Appel du 18 juin, « Paris libéré »), à temporiser (« Je vous ai compris ! », « Vive le Québec libre ! ») et à condamner. C’est le cas en 1961, lorsqu’en plein conflit algérien, quatre généraux de l’armée française font une tentative de coup d’État. Dès le lendemain, de Gaulle intervient à la télévision, et fustige ce « quarteron de généraux en retraite ».
Or, « quarteron » qualifie, depuis le XIIIe siècle, « un quart d’un cent, soit vingt-cinq » pour les choses qui se vendent à la pièce et non au poids. Brandissant cette définition, d’aucuns jugèrent impropre l’usage gaullien, les généraux étant au nombre de quatre au moment des faits. En réalité, le terme était déjà employé, avant cette affaire, au sens (péjoratif) de « petit groupe, poignée de personnes ». Le rapprochement entre « quarteron » et « quatre » est pure coïncidence, sinon malice, mais nullement ignorance.
Aucune ambiguïté en revanche lorsque le 19 mai 1968, face aux journalistes, Pompidou rapporte les propos que de Gaulle a tenus plus tôt en Conseil des ministres : « La réforme, oui, la chienlit, non. » Le mot, apparu au XVIe siècle, a d’abord eu le sens propre de « celui qui chie au lit » (la classe !). Par extension, au XVIIIe siècle, il a désigné un personnage de carnaval puis, au féminin, une « mascarade débridée ». Le général de Gaulle, qui voyait d’un très mauvais œil l’autorité de l’État ébranlée, a popularisé le sens moderne de « désordre public ».
Chirac : le mot d’excuse
Autre époque, autre style : contrairement au général de Gaulle, Jacques Chirac a utilisé deux néologismes non pas pour accuser mais pour se défendre. Tel un prestidigitateur, il sort de son chapeau un mot nouveau et hop ! il est à moitié pardonné !
Mis en cause dans l’affaire du financement occulte du RPR, il intervient à plusieurs reprises à la télévision. Le 21 septembre 2000, il s’explique sur les accusations posthumes de Jean-Claude Méry : « Aujourd’hui, on rapporte une histoire abracadabrantesque. » L’adjectif dérive de abracadabrant « étrangement compliqué, très bizarre », lui-même issu de la formule magique abracadabra. Le mot, immortalisé en 1871 par Rimbaud dans son poème Le cœur supplicié, aurait d’abord séduit Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Élysée et grand amateur de mots, qui le souffla à l’oreille de Jacques Chirac. Aujourd’hui, médiatisation oblige, le terme reste largement associé à l’ancien président plutôt qu’au poète et continue d’être utilisé au sens d’abracadabrant, « invraisemblable ».
Un an plus tard, rebelote. Lors de son allocution du 14 juillet 2001, le président déclare, à propos des polémiques sur les voyages présidentiels : « Ce n’est pas qu’elles se dégonflent, c’est qu’elles font “pschitt”, si vous me permettez cette expression. » Jusqu’alors l’onomatopée était surtout utilisée dans le langage publicitaire à propos des eaux gazeuses. Désormais, sous l’influence de Jacques Chirac, l’expression familière devient synonyme de « faire long feu », c’est-à-dire « échouer, ne pas avoir de succès ».
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Sandrine Campese