Et si – une fois n’est pas coutume – nous laissions l’orthographe de côté pour parler du calembour, ce jeu de mots typiquement français qui s’apprécie à l’oreille. Forçant l’admiration de nos voisins, il est, pour reprendre l’expression de l’auteur américain Isaac Asimov, « la forme la plus noble de l’esprit ». Étonnant, provocant, invitant à la réflexion, le calembour fait sourire et rire, voilà pourquoi nous l’aimons tant. Êtes-vous sûrs de bien le connaître ? Voici ce qu’il faut savoir de ce trublion verbal.
Qui es-tu, calembour ?
Un article du Supplément à l’Encyclopédie (1777) donne, pour la première fois, la définition officielle du calembour : « C’est l’abus que l’on fait d’un mot susceptible de plusieurs interprétations, tel le mot pièce, qui s’emploie de tant de manières, pièces de théâtre, pièces de plain-pied, pièces de vin, etc. Par exemple, en disant qu’on doit donner à la comédie une fort jolie pièce de deux sols, on fera de ce mot l’abus que nous appelons kalembour. »
Précisons que cet article a pour intitulé « Kalembour ou Calembour ». Pourquoi Kalembour avec un K ? Parce que la lettre C avait déjà été traitée !
Pas moins de huit étymologies différentes ont été avancées pour expliquer l’origine de « calembour ». La plus plausible semble être celle qui rapproche le calem de « calembredaine » (plaisanterie cocasse) et le bour de « bourde », d’où calem – bour !
Les trois types de calembours
Un calembour est un jeu d’esprit fondé sur :
1- la polysémie : des mots ayant plusieurs sens. Exemples : « Nous le savons et pas seulement de Marseille » (Pierre Desproges), « J’suis dans un état proch’ de l’Ohio… » (Serge Gainsbourg), « Haricots blancs : on a tous un côté fayot » (Monoprix) ;
2- l’homophonie : des mots dont la prononciation est identique, mais dont le sens est différent. Exemples : « De deux choses lune, l’autre c’est le soleil » de Jacques Prévert, ou encore « un mal, des mots », célèbre slogan de l’association SOS Amitié ;
3- la paronymie : des mots dont la prononciation est proche, mais dont le sens est différent. Exemples : « Nos âmes sont tordues, pour pécher c’est le pied » (Renaud), « Chassez le naturiste, il revient au bungalow ! », « Petits suisses nature : déroulez jeunesse » (Monoprix).
On a coutume de distinguer le calembour du kakemphaton, qui est involontaire et pas toujours très heureux. Exemple : « Vous me connoissez mal : la même ardeur me brûle,
Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » (Corneille).
Les calembouristes célèbres
D’après Le Robert, un « faiseur de calembours » est un calembouriste. Néanmoins, la variante calembourdier se rencontrait par le passé, ainsi que calembourdiste et calembourier. Balzac, qui a inventé le verbe calembourdiser (tourner en calembours) a employé à la fois calembouriste (« restaurateur calembouriste ») et calembourdier (« cet être joufflu, calembourdier, rieur »).
Alphonse Allais, Jacques Prévert, Frédéric Dard, Raymond Devos, Boby Lapointe, Pierre Desproges sont de grands calembouristes devant l’Éternel, mais certains considèrent que le premier calembouriste n’est autre que Jésus, qui a dit à l’un de ses apôtres : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » En réalité, c’est plutôt une antanaclase qui repose sur les deux sens de « pierre » : le prénom et la matière – la plus connue étant celle de Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »
Les anti-calembours
Ces trois auteurs, qui ont pourtant marqué l’histoire de notre belle langue française, ne portaient pas le calembour dans leurs cœurs.
Molière : le calembour est « ramassé parmi les boues des Halles et de la place Maubert ».
Voltaire : le calembour est « le fléau de la bonne conversation », « l’éteignoir de l’esprit ». Le philosophe avait même convaincu la salonnière Madame du Deffand de se liguer contre le calembour, au motif qu’« un tyran si bête usurpe l’empire du grand monde ».
Victor Hugo : le calembour est la « fiente de l’esprit qui vole » (dans Les Misérables), tout en précisant : « Loin de moi l’insulte au calembour ! Je l’honore dans la proportion de ses mérites ; rien de plus. »
Les cinq règles d’or du calembour
Un calembour réussi doit être :
1- oral : son effet est meilleur prononcé, l’écrit lui rend rarement justice ;
2- bref : les calembours les plus courts sont toujours les meilleurs !
3- à propos : un calembour doit arriver à point nommé ;
4- dit avec sérieux : on ne doit jamais rire à ses propres mots. Les meilleurs calembouristes sont des pince-sans-rire ;
5- gratuit : on ne doit pas attendre de réaction. Si les gens rient, tant mieux, si les gens ne rient pas, tant pis ! Quoi qu’il arrive, il faut garder la face et passer à autre chose.
Sandrine Campese
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Bonjour.
Je viens de avec intérêt votre article sur les c(k)alentours et j’ai une remarque à faire.
Jésus Christ parlait l’araméen, et peut-être d’autres langues de l’époque mais certainement pas le français. Donc…?
Bonjour Yves, cette phrase « à calembour » est bien évidemment tirée de la traduction française de l’Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu (chapitre 16, versets 13 à 23). Bon après-midi.
« 1- la polysémie : des mots ayant plusieurs sens. Exemples : « Nous le savons et pas seulement de Marseille » (Pierre Desproges) »
Que je sache, avec tout le respect que je vous dois, « savons », verbe savoir à la première personne du pluriel de l’indicatif, n’a pas son entrée dans le dictionnaire… Il ne s’agirait donc pas là de polysémie mais d’homographie.
Comment calembour s’écrit-il vraiement ? Avec sérieux.
Bonjour Igloo69, comme vous l’avez écrit, et comme il est écrit dans l’article que vous commentez. Attention, pas de « e » à l’adverbe « vraiment ». Bonne journée.
Comment se taire ? Ne rien dire.
Merci beaucoup ! Magnifique !
Merci Geoffrey :-).