Dernièrement, nous nous sommes intéressés aux expressions françaises que les Britanniques avaient adoptées telles quelles, sans chercher à les traduire ou à les mettre à la sauce « anglaise ». Et la liste est longue, ce qui permettra peut-être aux pourfendeurs d’anglicismes de se rassurer : oui, en Angleterre aussi, on utilise des gallicismes, la langue de Molière étant intimement liée à celle de Shakespeare. Pour vous en convaincre, poursuivons notre inventaire avec la lettre « B » !
Bête noire
À l’origine, notre bête noire est notre pire ennemi, notre pire cauchemar, la personne ou la chose qui nous répugne, que l’on déteste le plus. Avec le temps, l’expression s’est adoucie. Elle désigne désormais tout ce qui peut être gênant ou irritant. Au Projet Voltaire, nous aimons bien dire que le participe passé est la « bête noire » des francophones, par exemple ! En Angleterre, on utilise aussi l’expression « bête noire » pour qualifier, lors d’une compétition sportive, un adversaire particulièrement redoutable.
Ce que disent les Anglais : Melissa liked to relax while she had her highlights done. Chatty hairdressers were her bête noire. (Melissa aimait se relaxer pendant qu’elle faisait faire ses mèches. Les coiffeurs bavards étaient sa bête noire.)
Blasé
D’après les Anglais, l’adjectif français « blasé » vient d’un mot hollandais, blasen, qui signifie « gonfler ». En effet, on est blasé par quelque chose quand on en a été « rempli » en quelque sorte, jusqu’à l’explosion… Le désir ne peut plus être assouvi. Il en résulte une attitude désintéressée, nonchalante, qui peut être très agaçante ou décevante pour l’entourage. Les Anglais ont bien à leur disposition l’équivalent indifferent(mot qu’ils partagent également avec les Français), mais « blasé » est sans doute more relevant(plus pertinent) !
Ce que disent les Anglais : By the time she reached the eighth gallery Matilda was feeling blasé about the Old Masters and was much interested in finding the coffee shop. (Au moment de visiter le huitième musée, Matilda se sentait blasée par les vieux maîtres et était plus motivée par la recherche d’un café.)
Bon mot
En anglais, un « bon mot » est une blague ou une remarque pleine d’esprit. L’expression a dépassé les frontières de l’Hexagone vers 1730 pour devenir un moyen de décrire comment la haute société française du XVIIIe siècle se divertissait. C’est d’ailleurs le sujet du film Ridicule de Patrice Leconte. Outre-Manche, l’écrivain Oscar Wilde a parsemé ses œuvres de bons mots et a ainsi perpétué la tradition française. Malheureusement, un certain nombre de bons mots sont devenus des « clichés » (un autre gallicisme apprécié des Anglais !) à force d’être employés. Mais il est toujours possible d’en inventer d’autres !
Ce que disent les Anglais : If you spent as much time studying as you dedicate to delivering bons motsto your classmates, Stevens, you might one day be able to graduate. (Si tu passais autant de temps à étudier que tu en passes à lancer des bons mots à tes camarades, Stevens, tu pourrais être capable d’obtenir un jour ton diplôme.)
Source : Chloe Rhodes, A certain je ne sais quoi, Words we pinched from other languages, Michael O’Mara Books Limited, 2015.
Sandrine Campese
Crédit photo