Nous le savons, la langue française est en perpétuelle mutation. Entre le français du Moyen Âge et le français du XXIe siècle, que de chemin parcouru ! Tant de mots sont restés au bord de la route, remplacés par d’autres. Mais quelle joie de les ressusciter afin de mieux en saisir l’origine et le sens ! Et pourquoi ne pas les employer de nouveau, juste pour le plaisir ? Après les anciens noms d’animaux, place aux anciens noms de métiers !
L’apothicaire –> le pharmacien
Anciennement, l’apothicaire était celui qui préparait et vendait des médicaments, l’équivalent, donc, de notre pharmacien.
L’origine du mot est fort intéressante. Le nom « apothicaire » n’a pas de lien avec le domaine médical. Il vient du latin apothecarius, lui-même issu du grec ancien apothêkê, qui signifie « magasin », « boutique ».
Littéralement donc, l’apothicaire est celui qui tient une boutique, ce qui fait de lui un commerçant ayant pignon sur rue, à la différence du charlatan de passage, qui n’est établi nulle part, et peut donc « disparaître » comme bon lui semble, après avoir vendu ses potions.
Cette étymologie explique aussi pourquoi, dans la langue savante, on nomme « apothiconyme » un nom de boutique, de commerce, de raison sociale.
Bien que délicieusement désuet, le mot « apothicaire » n’est plus guère employé aujourd’hui. Il a presque totalement disparu au profit du nom « pharmacien ». On le retrouve, négativement, dans l’expression « compte d’apothicaire » pour désigner un compte très long et compliqué.
Notons que l’orthographe du mot a évolué. En ancien français, on écrivait apotecaire ou apotecour. Comme souvent, le français moderne a réintroduit des lettres étymologiques, comme le « h » issu du grec.
Le cortillier –> le jardinier
En ancien français, c’est ainsi que l’on nommait le jardinier.
Le nom cortillier (ou courtillier) vient du mot ancien cortil, désignant le jardin, l’enclos, de la même famille que « cour ».
Autres mots : hortillonneur, verdier.
Étaient également employés à cette époque les verbes cortillier, « jardiner », et acortillier, « cultiver » (dans l’agriculture).
Le maceclier –> le boucher-charcutier
Au Moyen Âge, le boucher se nommait maceclier ou macecrier. Le nom est formé sur macecle (ou macecre) qui désignait la boucherie.
Variantes : macellier, mazelier et maiselier, plus faciles à prononcer, mais aussi maisel, maisiel, macel.
Mais d’où viennent ces mots dont la forme n’évoque en rien la viande ? Il faut remonter au latin macellarius (« boucher »), à macellum (« marché aux viandes », « abattoir »), et enfin au verbe macello, macellare (« abattre un animal »).
Macecre a également donné le nom « massacre ». Rien d’étonnant : déjà, à cette époque, le nom maisel et ses variantes désignaient la boucherie au sens figuré de « carnage ». Et le boucher, rappelons-le, était nommé macecrier, autrement dit massacrier !
Le physicien –> le médecin
Au Moyen Âge, quand on était malade, on consultait un physicien (jadis écrit fisicien, fuisicien). En effet, la physique (ou fisique, fusique) désignait la médecine.
Nos médecins étaient donc nommés « physiciens ». C’est au XVIIe siècle que le « physicien » a pris le sens unique que nous connaissons aujourd’hui : spécialiste de la physique.
Autre nom : le mire. C’est également de cette façon qu’on désignait le médecin, celui qui soigne, au sens large. Le nom connaît moult variantes : miere, meire, mile, au féminin, miresse ; mais aussi mege, miege, mirge, mirier, mige, mide, mie, au féminin, megeresse. Preuve, s’il était encore besoin de le montrer, que l’orthographe d’alors n’était absolument pas fixée !
En outre, le nom mirgie désignait la médecine, le verbe megier signifiait « soigner » et le megement était le médicament. Tous ces termes seraient issus de diverses évolutions phonétiques du latin medicum.
Le savetier –> le cordonnier
Par le passé, le savetier (ou savatier) était l’artisan qui réparait les chaussures, qui raccommodait les vieux souliers.
Au XIXe siècle, le nom prend une connotation négative. Il désigne alors « celui qui manque de créativité, d’originalité, de talent dans l’exercice de son métier, de son art. », d’où l’expression « comme un savetier » signifiant « très mal » (chanter, écrire comme un savetier).
Pourtant, dans ses correspondances, Victor Hugo écrivait, en 1867 : « Si j’avais le choix des aïeux, j’aimerais mieux avoir pour ancêtre un savetier laborieux qu’un roi fainéant. »
Le nom savetier est formé à partir du nom « savate », qui désigne une vieille pantoufle (d’où les expressions « traîner la savate » ou « traîne-savates », guère plus reluisantes !).
Autres appellations anciennes du cordonnier : sudre (en occitan), sueur de vieil (couturier de souliers), savetonnier (cordonnier travaillant les peaux de mouton), cambreur (ouvrier qui cambre les cuirs des souliers), cambrurier (ouvrier chargé du démontage des vieilles chaussures et de la récupération des pièces qui peuvent être réutilisées).
Comment est-on arrivé au « cordonnier » ? En référence à Cordoue, ville espagnole dont le cuir était jadis très réputé. Littéralement, le cordonnier est donc celui qui travaille le cuir de Cordoue. Voilà pourquoi le cordonnier se disait également corvisier ou corvoisier en ancien français. Vous remarquerez qu’au Moyen Âge, les synonymes et les nuances ne manquaient pas !
Le surge –> le chirurgien
Ce n’est pas le chirurgien qui vous opérait au Moyen Âge, mais le surge !
Le terme est une déformation du latin chirurgus. En fin de compte, en remplaçant surge par « chirurgien », on a renoué avec l’étymologie latine.
La chirurgie se disait surgie et le surge, au féminin, était une surgeure.
À noter que de nos jours, « chirurgien » est parfois abrégé en « chir », ce qui constitue une apocope, le fait de supprimer une ou plusieurs syllabes à la fin d’un mot, de façon à l’abréger. Autre exemple : « ciné » est l’apocope de « cinéma », lui-même apocope de « cinématographe ».
Rappelons ici une curieuse alliance de métiers au Moyen Âge : barbier et chirurgien ! Il existait même une corporation des barbiers-chirurgiens, à laquelle Ambroise Paré (vers 1509 – 1590) appartenait. En effet, les barbiers sachant manier le rasoir, ils pouvaient, à ce titre, traiter les plaies, inciser les abcès et faire des saignées tant que le mal restait superficiel, bien entendu. Ouf !
Sandrine Campese