Exorde, incipit, prolégomènes… 5 mots littéraires signifiant « introduction »

Précédemment, nous avons cherché les différences et les nuances entre les noms « préambule », « prélude », « prologue »… S’ils appartiennent tous au registre courant, il n’en est pas de même après « exorde », « incipit », ou encore « prolégomènes ». Pourtant, eux aussi désignent une introduction, avec chacun ses caractéristiques propres. (Re)découvrons ces cinq mots rares et élégants à employer sans modération pour introduire nos propos.

1- Exorde

Nom masculin datant du XVsiècle, il est emprunté au latin exordium, lui-même issu du verbe exordiri, « commencer une trame ». Il désigne la première partie, l’entrée en matière d’un discours.

À l’entrée « exorde » de son dictionnaire, l’Académie française semble vouloir suggérer l’idée de longueur (voire d’ennui !), mais sans le dire expressément dans la définition. Ce sont les exemples choisis qui vont dans ce sens : « Cet exorde est trop long. L’exorde d’une harangue, d’un plaidoyer. » Or, une harangue ou un plaidoyer ne se font pas en quelques minutes ! La harangue est même définie comme un « discours pompeux et ennuyeux, une remontrance interminable ». Il y a donc fort à parier que l’exorde est du même acabit.

« Exorde » a pour paronyme (mot qui lui ressemble) le nom « exode », et pour synonyme « introduction », bien sûr, mais aussi « préambule », « préface », « préliminaire », ou encore « prélude ».

À lire également sur notre blog : Préambule, prélude, prologue… Quelle différence ?

2- Incipit

Voici un nom latin passé directement dans notre langue sans subir aucune transformation ! Néanmoins, ce n’est que depuis le XIXsiècle qu’il vit cette seconde vie.

Le latin incipit est la forme conjuguée du verbe latin incipere, « entreprendre, commencer ». « Incipit » signifie donc « il commence ». Plus exactement, il est tiré de la locution Incipit liber, « (Ici) commence le livre », qui figure au début des manuscrits latins du Moyen Âge.

Mais que désigne-t-il ? Les premiers mots d’une œuvre littéraire (manuscrit, ouvrage, poème), plus rarement musicale. Il est donc plus court qu’une réelle introduction. On peut considérer que l’incipit constitue la ou les toutes premières phrases, l’accroche.

Comment prononcer « incipit » ? Comme souvent, les dictionnaires ne sont pas tout à fait d’accord les uns avec les autres. Pour Le Robert, c’est « insipit’ » (presque comme « insipide ») ; selon le Larousse, c’est « insipi », sans faire entendre le « t » final. Dans les deux cas, « in » se prononce [??]. Et pour l’Académie française ? Voici ce qu’elle indique sur son site : « Il est fortement ressenti comme latin (ne serait-ce que parce que l’on prononce le -t final) ; aussi le prononce-t-on à la latine. » D’où « in’kipit’ ».

Jusqu’aux rectifications orthographiques de 1990, incipit, en tant que nom latin, était invariable : « un incipit, des incipit ». Désormais, les mots empruntés à d’autres langues peuvent suivre les mêmes règles d’accentuation et d’accord que les mots français. Ainsi, « un incipit, des incipits » n’est plus incorrect.

Quel est l’incipit le plus célèbre de la littérature ? « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » (Proust, La Recherche, tome 1), « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » (Camus, L’Étranger), « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » (Aragon, Aurélien).

3- Liminaire

On connaît « préliminaire », mais beaucoup moins « liminaire », sur lequel le premier est pourtant formé. En effet, il suffit d’ôter à « préliminaire » le préfixe « pré- » pour obtenir la racine « liminaire », laquelle est un mot à part entière.

Si « préliminaire » peut être un nom ou un adjectif, « liminaire », lui, est toujours un adjectif. Comme « préliminaire », il a pour origine l’adjectif latin liminaris, « relatif au seuil, initial », de limen, liminis « seuil », « entrée ».

Ce qui est « liminaire » qualifie ce qui est au début d’un livre, d’un poème, d’un discours, d’un débat. Exemple : un avertissement liminaire ; une déclaration liminaire ; des propos liminaires.

« Liminaire » a pour paronyme « luminaire », lequel ne dérive pas de liminaris, mais bien de luminare, « qui produit de la lumière », « lampe ».

4- Prodrome

Ce nom, apparu au XVIsiècle, est désormais noté « vieilli » dans le dictionnaire. Et si on lui redonnait un peu de vigueur ? Par l’intermédiaire du latin prodromus, il vient du grec prodromos, mot dans lequel on reconnaît le préfixe « pro- » (« avant, devant ») et dromos « course », « lieu où l’on court ».

C’est ce même dromos qui compose « hippodrome » (à l’origine : lieu où se tiennent des courses de chevaux), « vélodrome » (lieu où se tiennent des courses de vélo) ou le plus récent « vaccinodrome » (lieu où l’on se vaccine).

Mais revenons à « prodrome », qui a plusieurs sens. Anciennement, il s’agit de la partie introductive d’un ouvrage savant.

En médecine, le prodrome est le symptôme « avant-coureur » d’une maladie ou d’un malaise. Le prodrome précéderait le « syndrome » (où le préfixe syn- signifie « avec », d’où, littéralement, « qui court avec, qui va avec »), qui désigne l’ensemble de symptômes permettant d’identifier une maladie.

Au sens figuré et dans la langue littéraire, enfin, le prodrome est le fait qui présage un événement, qui marque le début de quelque chose. Exemple : les prodromes d’une crise économique, d’une guerre, d’une insurrection, d’une révolution. Il a pour synonyme (phénomène, signe) « annonciateur », « avant-coureur », « précurseur ».

Enfin, « prodrome » ne saurait être confondu avec son paronyme « pogrom » (ou « pogrome »), « violences exercées contre certaines communautés, principalement contre la communauté juive. »

5- Prolégomènes

Ce nom masculin est classé comme « didactique » dans le dictionnaire, ce qui signifie qu’il est propre au vocabulaire d’une science, d’une technique, d’un art. Autre particularité : « prolégomènes » s’emploie toujours au pluriel, avec un « s » final.

Le nom est issu du grec prolegomena, de prolegein, « annoncer ». On reconnaît de nouveau le préfixe « pro- », qui compose « prodrome » (« avant, devant »), et legein, « dire, parler », de la même famille que logos, qui a donné le suffixe -logue.

Les prolégomènes sont la longue introduction d’un livre présentant les notions essentielles à la compréhension de l’ouvrage (les prolégomènes de la Bible), ou encore l’ensemble des notions préliminaires à une science (les prolégomènes à la linguistique).

On retient ici deux idées : la longueur et la nécessaire explication permettant d’appréhender la suite d’un ouvrage ou d’une discipline. Les prolégomènes s’apparentent à une ample préface.

Sandrine Campese

Articles liés