Chapitrer, gourmander, morigéner… 5 mots littéraires pour dire « réprimander »

Nous poursuivons notre série sur les mots rares et élégants qui ne demandent qu’à être remis au goût du jour ! Avez-vous remarqué que les verbes littéraires synonymes de « réprimander » (blâmer, gronder) étaient légion ? Nous en avons sélectionné cinq, à utiliser à l’envi…

1- Admonester

« Admonester », apparu au XIIe siècle, est tiré du latin admonestare. Or, ce verbe est lui-même le fruit d’un « croisement » entre admonitus, participe passé de admonere, « avertir », et de l’adjectif molestus, « pénible ». Littéralement, donc, « admonester », c’est avertir péniblement ou émettre un avertissement pénible !

S’agissant d’étymologie, signalons que ce verbe s’écrivait « amonester » en ancien français, sans le « d » latin qui a été réintégré plus tard, probablement au XVIIe siècle, dans un mouvement de relatinisation généralisée plus ou moins heureux.

Que signifie « admonester », verbe désormais noté « littéraire » dans le dictionnaire ? « Réprimander sévèrement en avertissant de ne pas recommencer. » Avant de rejoindre le vocabulaire courant, il s’est d’abord employé dans le domaine de la justice où il signifie « faire une remontrance à un justiciable, sans condamnation mais avec défense de récidiver. »

Cet avertissement, certes sévère mais sans conséquence immédiate, (la sanction n’est encore qu’une menace), est généralement donné de manière privée, à l’abri des regards.

2- Chapitrer

Encore un vieux verbe, mais tout de même plus récent que « admonester » ! Apparu au XVe siècle, « chapitrer » est dérivé de « chapitre ».

En effet, dans la religion catholique, « chapitrer » revient à « réprimander un religieux au chapitre », c’est-à-dire en plein chapitre. Au début du XXe siècle, le sens s’est élargi. Désormais, « chapitrer » signifie « réprimander sévèrement quelqu’un », « le rappeler à l’ordre ».

Exemples : « Ah ! je vous jure que je l’aurais bien chapitrée… » (Alfred de Vigny) ; « Comme je le chapitrais il se mit en fureur… » (Léon Daudet).

« Chapitrer » a un autre sens, pourtant absent du Dictionnaire de l’Académie française et du Robert : « diviser un texte en chapitre », mais aussi un enregistrement audio ou vidéo, particulièrement pour sa diffusion sous forme numérique ». D’où « chapitrage ».

Lorsqu’un verbe est issu d’un substantif (nom commun), on dit que c’est un « dénominal ». Lorsqu’un nom est issu d’un verbe, c’est un « déverbal ». « Chapitrer » est un dénominal ; « chapitrage » est un déverbal.

3- Gourmander

Ce verbe a beau être le dénominal de « gourmand », il n’est nulle question de gourmandise ici ! Pour comprendre son origine, il faut s’intéresser au verbe « gourmer », qui fait intervenir la gourme (ou gourmette), « la chaînette qui fixe le mors dans la bouche du cheval ». Or, celle-ci entrave nécessairement le mouvement du cheval et peut laisser des traces (semblables à des tuméfactions résultant de coups de poing).

Voilà pourquoi « gourmander un cheval », c’est le manier rudement de la main.

Mais quel rapport avec « gourmand » ? Une piste : « gourmander » a pu être pris au sens premier de « dévorer », puis, sous l’influence de « gourmer », il est devenu « tourmenter ».

Toujours est-il que « gourmander », malgré son allure positive, signifie bien « réprimander avec dureté ». Par exemple, on peut « gourmander un élève » ; on peut aussi « gourmander la paresse de quelqu’un ».

4- Morigéner

Sans surprise, « morigéner » est un synonyme des trois précédents… avec quelques petites nuances tout de même. Morigéner, c’est reprendre quelqu’un, le réprimander vivement, mais (suivant les dictionnaires) :

– avec insistance ;

– avec suffisance, affectation (une sorte de pédantisme) : « C’est un homme qui passe son temps à morigéner tout le monde. »

– au nom de la morale, en faisant une leçon de morale. Il est en ce sens proche de « sermonner ». On morigène quelqu’un pour le remettre dans le droit chemin ;  « morigéner », que l’on écrivait jadis « moriginer », vient du latin morigerari qui signifie « être complaisant, docile ».

Un bel exemple d’utilisation de « morigéner » se trouve dans Les Fourberies de Scapin (Acte II, Scène 1), où Molière écrit « Et si ce fils que vous avez, en brave père, si bien morigéné, avait fait pis encore que le mien. ».

Au futur et au conditionnel, « morigéner » peut se conjuguer de deux manières : « je morigénerai », « je morigénerais » (orthographe traditionnelle) et « je morigènerai », « je morigènerais » (orthographe rectifiée, plus conforme à la prononciation).

5- Tancer

« Tancer » veut dire aussi « réprimander sévèrement », ou encore « admonester », « morigéner ». Exemples : « Sa mère l’a tancée » ; « Il se fait tancer tous les jours ». Il peut s’accompagner d’un adverbe. Exemple : « tancer vertement ».

L’évolution sémantique de ce verbe est intéressante. Comme l’indique Émile Littré dans ses Pathologies verbales (1880), « tancer (…) a, dès l’origine, deux (…) sens opposés, tous deux usités concurremment, (…) ceux de défendre et attaquer, de protéger et malmener. (…) Le sens de protéger tomba en désuétude?; celui d’attaquer, malmener, prit le dessus. Enfin, par une dernière mutation, la langue moderne en fit un synonyme de gronder, malmener en paroles. »

Le fait pour un mot de signifier une chose et son contraire se nomme « énantiosème ». Vous trouverez quelques exemples d’énantiosèmes dans cet article de notre blog.

Et vilipender, alors ?

Si « vilipender » ne se trouve pas dans notre liste, c’est que sa signification est différente.

« Vilipender » ne signifie pas « réprimander ». Son étymologie nous éclaire d’ailleurs sur son sens : le latin vilipendere (« dénigrer ») est composé de vilis (« vil ») et de pendere (« peser, estimer »).

« Vilipender » c’est, littéralement, « traiter de vil », donc « traiter avec beaucoup de mépris », « dénigrer », « attaquer verbalement ». Il a pour synonymes « bafouer », « honnir » …

À noter que le verbe peut s’appliquer (certes plus rarement) à des choses (vilipender une marchandise). En Suisse, il a encore un autre sens : « gaspiller », « dilapider ». (« On vilipende trop souvent l’eau. »).

Sandrine Campese

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