Rire ou s’instruire, pourquoi choisir ? Bruno Dewaele, champion du monde d’orthographe et illustre membre du comité d’experts du Projet Voltaire, nous invite à une balade décomplexée dans l’univers des mots avec son dernier ouvrage, « De l’aborigène au zizi » paru aux éditions Michel Lafon. Il nous en parle.
Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?
En réalité, c’est une commande de l’éditeur Michel Lafon. Une personne de son entourage m’avait entendu à la radio, sur RMC, à l’occasion d’une émission des Grandes Gueules consacrée à notre langue et enregistrée sous la Coupole, à l’Académie française, en mars 2016. Elle s’est dite très intéressée par un livre qui serait rédigé sur le ton, malicieux et décontracté, dont j’avais usé ce jour-là. J’ai d’abord décliné l’offre, peu enclin que j’étais alors à mettre en chantier un nouvel ouvrage, alors que l’intégrale de mes 101 dictées, aux Éditions de l’Opportun, était déjà sur les rails. Par acquit de conscience, j’ai néanmoins accepté de rencontrer des émissaires de ladite maison d’édition, et j’ai changé d’avis. D’abord parce que nous avons beaucoup ri au cours de ce déjeuner. Ensuite et surtout parce que cela me permettrait d’exploiter le fonds que représente mon travail de chroniqueur de langue à La Voix du Nord, depuis plus de vingt ans…
Comment avez-vous choisi les mots qui s’y trouvent ?
Pas au hasard, en tout cas, comme vous pouvez vous en douter ! Certains (ancolie, chænichthys, zeuzère) sont des mots clés de l’aventure orthographique qui aura été la mienne, du premier championnat de France de Bernard Pivot à aujourd’hui, en passant par la finale onusienne de 1992, à l’ONU. D’autres (aubade, éponyme, quiz) sont là parce qu’ils posent des problèmes aux usagers de la langue : soit qu’on les écrive mal, soit qu’on ne les utilise pas à bon escient. D’autres encore, comme l’aborigène qui inaugure l’ouvrage, parce qu’on se méprend carrément sur leur prononciation : on voit souvent dans ce dernier un « arborigène », autrement dit quelqu’un que son statut de primitif conduirait à vivre dans les arbres, alors que ce n’est pas du tout ça ! Un mot d’ailleurs m’est souvent l’occasion d’en évoquer d’autres : l’entrée aborigène me permet de dénoncer « dilemne » en lieu et place de dilemme, « aéropage » au lieu de aréopage, « frustre » de fruste, « rénumérer » de rémunérer, « omnibuler » de obnubiler, etc.
En quoi est-il différent d’un dictionnaire ?
Les mots se succèdent certes par ordre alphabétique, ici aussi, mais le ton est aux antipodes de celui, sérieux, qui préside à un dictionnaire classique. Je n’ai d’ailleurs pas la prétention de recenser toutes les difficultés de la langue : nombre d’ouvrages des plus sérieux s’y attellent, et ils sont en général très bien faits. La nomenclature n’est ici qu’un prétexte commode à la conception et à la rédaction du livre, mais aussi à sa lecture : on peut en effet construire son parcours au gré de sa fantaisie, même si celui qui me paraît le plus naturel est encore de lire le livre… de A à Z. Ce que l’on fait rarement, vous en conviendrez, dans un dictionnaire digne de ce nom !
Avec vous, l’humour et le savoir ne sont pas incompatibles, on dirait !
Mais j’espère bien ! Mon but premier aura été de dérider le lecteur, de lui démontrer que cette matière réputée aride, voire rébarbative, qu’est l’orthographe est au contraire la plus surprenante, la plus cocasse qui soit. Ses bizarreries peuvent certes agacer l’usager, le mettre en rogne même, et c’est humain, quand il vient de commettre un impair. Elles peuvent aussi et surtout l’amuser, et chacun sait que cela restera toujours le plus sûr moyen d’instruire. Il est peu de règles que l’on ne puisse exposer avec le sourire, et le dictionnaire – le vrai – est sans doute le genre de bouquin qui, quoi qu’on en pense, nous offre le plus d’occasions de nous esclaffer, pour peu qu’on s’applique à le lire entre les lignes. Ce fameux zizi qui clôt l’ouvrage, et qui a fait couler beaucoup d’encre depuis sa parution, en est la preuve ô combien vivante !
Champion du monde d’orthographe et auteur, Bruno Dewaele préside le comité d’experts du Projet Voltaire.
Merci, mille mercis.