Crépuscule, hôte, remercier… Ces mots qui signifient une chose et son contraire

Notre langue a beau être riche, elle n’est pas exempte d’ambiguïtés. Certains mots, principalement des noms et des verbes, ont la particularité de signifier une chose et son contraire. Dans les années 1980, le sémiologue (expert en signes linguistiques) Roland Barthes a classé ces termes dans les « énantiosèmes », c’est-à-dire les « signifiants contradictoires ». Et des énantiosèmes, vous en utilisez tous les jours ! En voici la preuve.

Des noms qui signifient une chose et son contraire

Crépuscule
À l’origine, le crépuscule désignait… le début du jour ! C’est au XVIe siècle qu’il apparaît au sens actuel de « pénombre suivant le coucher du soleil ». Mais il s’emploie toujours, dans l’usage littéraire, pour nommer le moment qui précède le lever du soleil (le crépuscule du matin) !

Critique
Étymologiquement, la critique est neutre : c’est « l’aptitude à juger », le plus souvent une œuvre. En pratique, ce nom peut aussi bien désigner un éloge qu’un réquisitoire. Résultat : on se sent obligé, pour éviter les malentendus, de préciser s’il s’agit d’une critique « positive » ou « négative ».

Écran
Littéralement, l’écran est proche du « paravent » : il permet de protéger ou de dissimuler, au sens propre comme au sens figuré. Ainsi, l’écran de fumée est un subterfuge permettant de masquer une intention. Mais l’écran sert aussi à montrer, tel l’écran de télévision ou d’ordinateur.

Hôte
L’hôte est à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. Au Moyen Âge, le nom désigne d’abord la personne qui accueille : l’aubergiste, le cabaretier… Mais, très vite, il prend le sens de « personne à qui l’on donne l’hospitalité ». Mais alors, dans la locution « table d’hôte », qui est l’hôte ?

Des verbes qui signifient une chose et son contraire

Apprendre
Dès l’ancien français, ce verbe s’emploie au double sens « d’acquérir des connaissances » (apprendre quelque chose) et de « donner des connaissances » (apprendre à quelqu’un). Par conséquent, celui qui apprend peut aussi bien être enseignant qu’élève !

Chasser
Qu’entend-on par « chasser » ? « Faire venir à soi » ou « faire disparaître » ? C’est bien le premier sens qui prédomine lorsqu’on part à la chasse, pour attraper du gibier ; et le second quand, d’un revers de main, on chasse une mouche qui devient trop envahissante.

Remercier
Reconnaissance et sanction dans un seul et même verbe ? Oui, c’est possible ! Quoi de plus agréable que d’être remercié pour un cadeau qu’on a fait, une bonne action qu’on a menée ? Mais lorsqu’on se fait remercier, c’est-à-dire congédier, c’est tout de suite moins drôle !

Supporter
Bien avant l’influence de l’anglais, ce verbe s’est employé au sens figuré « de soutenir quelqu’un ». À croire que la charge était trop lourde : « supporter » est devenu synonyme de « tolérer », pour ne pas dire « subir » ! Non, les belles-mères n’y sont absolument pour rien…

Bien sûr, la liste des énantiosèmes ne s’arrête pas là. Il ne tient qu’à vous de la compléter en interrogeant les mots qui nous entourent. Tenez, par exemple, comment expliquer que le ravissement soit à la fois un enlèvement fait sans ménagement et un sentiment d’extase ? Que la révolution désigne aussi bien la paisible course de la Terre autour du Soleil qu’un changement social brusque et violent ? Qu’un métier sacré puisse être un sacré métier ?

À lire également : Vous avez le choix ! Ces mots à deux orthographes

Sandrine Campese

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Que dire de « plus » ?
Dans une phrase complète, il n’y a pas d’ambiguïté car la négation entière est « ne….plus ». A l’oral, on fait sonner le s pour indiquer « davantage ».
Mais pour tout ce qui est titres (journal…), les contresens sont vite arrivés : « plus de sucre », par exemple. Est-ce une invitation à cesser de mettre du Sucre partout ? Ou bien, au contraire, une demande visant à adoucir un goût trop fade, acide ou amer ?

    Bonjour Raphael, effectivement, c’est le contexte qui peut lever ce genre d’ambiguïtés, fréquentes dans la langue française ! La prononciation joue aussi, bien sûr. Bonne journée.

    En effet, le verbe « sanctionner » a deux sens opposés, ce qui fait de lui un énantiosème.
    – Confirmer quelque chose, lui apporter une consécration officielle ou quasi officielle : Sanctionner les propositions d’un médiateur.
    – Réprimer une infraction, une faute, les punir par une sanction, une pénalité : Une loi sanctionne ce genre d’infractions.
    (Source : Larousse)

Joli coup ! Ces mots nous embellissent et nous pourrissent la vie.
J’en ai collecté une dizaine d’autres, que je ne dévoilerai que partiellement ici : il vous restera la place pour un autre beau billet…
— L’oubli fatal : le verbe « louer » : Dieu merci, il nous reste le loueur-bailleur (le riche) et le locataire-preneur (le miséreux) pour distinguer le bon grain de la livrée.
— « Amateur » : le fin connaisseur expert ou le benêt dans la discipline…

Et pour vous Sandrine, j’ai aussi mis spécialement de côté notre cher « fada » marseillais : idiot du village, certes, pour les Parigots de passage. Mais aussi être illuminé, modeste Rimbaud sans pieds de notre crèche provençale, ce santon « Lou ravi » que le reste du monde ne comprend pas…

      Merci Chambaron, pour ces explications intéressantes, mais je suppose, évidemment, qu’il s’agit d’un jeu de mots quand vous écrivez : le bon grain de la livrée, l’expression habituelle étant :le bon grain de l’ivraie (graminée toxique qu’il faut séparer du bon grain). Cordialement 🙂

        Oui, livrée faisant référence au statut permanent de locataire des domestiques…
        Avec moi, un mot en cache souvent au moins un autre. 😉

          Je flâne ici et je tombe sur votre commentaire dans lequel vous assurez avoir une bonne dizaine d’exemples dans votre sac à enantiosèmes. Pouvez-vous les révéler ? Je ne vous… louerai jamais assez.