Après la marquise de Rambouillet et Madame de la Sablière, place à une autre salonnière : Madame de Tencin. D’après le journaliste Paul Reboux, « être admis chez Mme de Tencin, c’était recevoir son brevet d’élégance intellectuelle ». Son salon, actif durant la première moitié du XVIIIe siècle, jouissait d’une grande renommée, jamais désavouée depuis. La personnalité de la salonnière, son « réseau », comme on dirait aujourd’hui, mais aussi la bienveillance et la simplicité avec laquelle elle traitait ses hôtes expliquent en grande partie ce succès…
Où était situé le salon de Madame de Tencin ?
Dans son appartement de la rue Saint-Honoré, proche du « cul-de-sac de l’Oratoire » (actuelle rue de l’Oratoire). Elle avait formé une petite assemblée de sept personnes, qu’on nommait les « sept sages » et qui, tous les mardis, venaient dîner dans l’intimité. Plus tard, les portes s’ouvraient à d’autres invités.
Qui était Madame de Tencin ?
Née en 1682, Claudine-Alexandrine de Tencin a passé ses jeunes années dans un couvent près de Grenoble, avant de s’installer à Paris, en 1711. À quoi ressemblait-elle ? Elle devait être agréable à regarder, avec sa bouche expressive et fraîche, son regard vif et énergique. Marivaux en personne la décrit comme « l’âme la plus agile qui fut jamais ». Mme de Tencin est également connue pour être la mère de d’Alembert, l’encyclopédiste, né de ses amours avec le chevalier Destouches.
Était-elle une « femme de lettres » ?
D’abord intrigante et entremetteuse, elle a été la maîtresse du Régent, Philippe d’Orléans, puis de son premier ministre, Dubois. Une de ses affaires de cœur et d’argent ayant mal tourné, elle se retrouve emprisonnée à la Bastille (en même temps que Voltaire, qu’elle déteste). À sa sortie, âgée de 45 ans, elle décide de créer son salon, qui ressemble plus à un salon d’intrigues amoureuses qu’à un salon littéraire. Mme de Tencin s’occupe de fournir des maîtresses à Louis XV : Mme de Mailly, la marquise de la Tournelle, et prépare l’ascension de la future Mme de Pompadour ! Plus tard, elle publiera, avec succès, quelques romans dont les Mémoires du comte de Comminge, Le Siège de Calais et Les Malheurs de l’amour.
Qui fréquentait son salon ?
Parmi les visiteurs du mardi, il y avait Fontenelle, Marivaux, l’abbé Prévost (l’auteur de Manon Lescaut) et Montesquieu. Quand ce dernier publia L’Esprit des lois, Mme de Tencin acheta presque toute l’édition pour en faire distribuer des exemplaires à ses amis. Et Montesquieu lui dit : « Vous êtes la petite maman de mon livre. » Citons également La Motte, Duclos, Marmontel, Helvétius, Mme Geoffrin, autre salonnière à laquelle nous avons également consacré un billet. Mme de Tencin appelait son assemblée « ma ménagerie » ou « mes bêtes ».
Qu’y faisait-on ?
On critiquait le pouvoir (en particulier la nonchalance de Louis XV), on prévoyait (déjà !) la chute de la monarchie. On organisait des élections, des mariages. On décidait d’un siège à l’Académie ou de l’union de deux maisons illustres. On s’amusait beaucoup aussi : on faisait des mots, on lisait, on jouait aux jeux de société. On faisait des portraits, des maximes, des imitations (« à la manière de… »).
Pourquoi le salon a-t-il cessé ses activités ?
Madame de Tencin s’est éteinte à 66 ans, après avoir passé ses deux dernières années immobilisée dans son fauteuil, mais pas inactive ! Quand Fontenelle, qui avait alors 92 ans, apprit son décès, il demanda : « Où dînerai-je chaque mardi ? » Il répondit : « Eh bien ! je dînerai chaque mardi chez Mme Geoffrin. »
Sandrine Campese
Crédit photo
Source : Les grands salons littéraires, XVIIe et XVIIIe siècles, Conférences du musée Carnavalet de 1927, édition de 1928.