Savez-vous jurer comme Molière ?

Costume Dom Juan Molière

L’année 2022 touche presque à sa fin. Elle aura été marquée par la célébration du quadricentenaire de la naissance de Molière. Le Projet Voltaire s’est associé à cet hommage à Jean-Baptiste Poquelin en proposant une série d’articles consacrés aux mots de Molière. Mais le dossier n’aurait pas été complet sans un rapide inventaire des principaux jurons qui sont parvenus jusqu’à nos oreilles, par l’entremise du grand dramaturge français. Il ne tient qu’à vous de les remettre au goût du jour pour « insulter » qui de droit avec une désuète élégance !

Diantre !

Cela ne saute pas immédiatement aux yeux, mais « diantre » est l’altération de « diable ». Ce vieux juron, déjà en usage au XVIsiècle, est plus précisément une « altération euphémique » qui permet de jurer sans risquer de réveiller le prince des démons… Ainsi disait-on : « Que le diantre vous emporte ! » ou « Allez au diantre ! ».

L’interjection « Diantre ! » sert à marquer différentes émotions : l’affirmation, l’imprécation (voir plus bas « La peste soit… »), l’admiration, l’étonnement…

Molière l’emploie volontiers dans ses pièces : « Comment diantre voulez-vous qu’on fasse pour vous voler ? » « Qui diantre peut aller là contre ? » (L’Avare), « D’où diantre a-t-il sitôt appris cette aventure ? » (L’École des femmes).

Aujourd’hui, « diantre » s’emploie plaisamment, souvent précédé de « que » : « Que diantre, allons-nous-en ! », alors que ce n’était pas, semble-t-il, l’usage dans les siècles passés.

Morbleu !

Non, « Morbleu » n’est pas un fromage composé de morbier et de bleu : c’est le juron du XVIIe siècle par excellence. Rien d’étonnant à ce qu’on le trouve dans les pièces de Molière, par exemple dans Le Misanthrope : « Ah, morbleu ! Mêlez-vous, monsieur, de vos affaires. »

« Morbleu » exprime une colère mêlée d’impatience et d’indignation. C’est l’altération euphémique (encore une !) de « mordieu », c’est-à-dire « mort de Dieu ». Tout comme « diantre », il permet de jurer sans blasphémer.

D’autres jurons transforment « Dieu » en « bleu » : « sacrebleu », autrement dit « par le sacre (de) Dieu » et « palsambleu », où transparaît l’expression « par le sang (de) Dieu ». Cette dernière est plus rare que « Morbleu », mais toujours dans la même… veine !

Coquin !

Voilà un mot dont le sens a bien évolué depuis l’époque de Molière. Chez le dramaturge, un coquin n’est pas, comme aujourd’hui, « une personne qui a de la malice, de l’espièglerie ».

C’est une « personne vile, capable d’actions blâmables ». Ainsi écrit-il dans Le Tartuffe : « Qui, moi ? de ce coquin, qui par ses impostures… ». De cette acception est né le terme d’injure « coquin ». Toujours dans Le Tartuffe : « Coquin ! Je me repens que ma main t’ait fait grâce. »

À noter que le nom se rencontre souvent accompagné de l’adjectif fieffé, « c’est un fieffé coquin », où « fieffé » veut dire « qui possède au plus haut degré un défaut, un vice ». On dit plus couramment « un fieffé menteur ». Signalons enfin que « coquin » compose l’expression « coquin de sort ! », bien connue dans le sud de la France.

Synonyme de coquin : « Pendard ! », qui vient du mot d’ancien français pendart signifiant « bourreau ». De la même famille que le verbe pendre, il existe au féminin : « pendarde ». Ainsi peut-on lire, dans Le Malade imaginaire, « Parle bas, pendarde ! ».

Faquin !

« Faquin » ressemble à « coquin », mais il est un peu moins accusateur. Là où le coquin est infréquentable, le faquin se contente d’être un « individu sans valeur, plat… et impertinent » (ah, quand même !). Comme « coquin », c’est un terme d’injure typique du XVIIe siècle. Ainsi, Molière écrit-il dans L’Avare : « Vous n’êtes pour tout potage qu’un faquin de cuisinier ».

Autre insulte du même acabit : « Maraud ! », qui signifie « minable, vaurien ».

Notons que ces termes cohabitent bien volontiers. Dans Les Fourberies de Scapin : « Je me déferai de ce maraud fieffé, de ce faquin… ». Et sous la plume d’Edmond Rostand dans Cyrano de Bergerac, dont l’intrigue se déroule au XVIIe siècle : « Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule ! »

Fesse-mathieu

Vous n’osez traiter votre beau-père de radin ? Utilisez « fesse-mathieu », c’est bien plus original ! Il s’agit bien, dans cette expression, de « fesser Mathieu ». Mais pourquoi Mathieu ? Parce que saint Mathieu est le patron des changeurs. Mais pourquoi diable le fesser ? Pour en tirer de l’argent, pardi !

Autre synonyme d’avare : « ladre ». Molière les cumule dans L’Avare, justement : « Jamais on ne parle de vous que sous les noms d’avare, de ladre, de vilain et de fesse-mathieu. »

(La) peste soit… !

Voilà ce qui s’appelle une imprécation (ou un anathème), c’est-à-dire un souhait de malheur contre quelqu’un. On comprend aisément pourquoi la peste, la plus ravageuse des épidémies, est convoquée à cet effet. 

La tournure, notée vieillie dans Le Petit Robert, a plusieurs formes : « La peste t’étouffe », peut-on d’abord y lire. Mais Molière préfère l’employer de la façon suivante : « Peste soit », ou, avec l’article défini, « La peste soit… ».

Dans Le Dépit amoureux : « Foin de notre sottise, et peste soit des hommes ! », puis dans L’Avare : « La peste soit de l’avarice et des avaricieux », répété deux répliques plus loin « Je dis que la peste soit de l’avarice et des avaricieux ».

C’est ce sens qui a fait naître le verbe pester, c’est-à-dire « manifester son mécontentement, sa colère, par des paroles ». On peste contre le mauvais temps, contre quelqu’un. On oublie presque qu’étymologiquement, cela revient tout de même à lui souhaiter de contracter la peste !

Sandrine Campese

Les étymologies et les définitions sont tirées du Petit Robert de la langue française.

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Quel plaisir de jurer « comme » Molière et de profiter de ces relectures que vous savez si bien
glisser dans vos pages au fil du Projet.
Merci tout simplement MJM