Suite et fin de notre dossier consacré aux mots emblématiques de Molière, et plus généralement au « parler du XVIIe siècle ». Dans les dictionnaires, ces expressions sont notées vieillies ou littéraires, parfois même elles en ont disparu ! Grâce à notre sélection, vous pourrez non seulement mieux appréhender certains termes propres au célèbre dramaturge et aux œuvres du Grand Siècle, mais tenter de « sauver » ces mots oubliés en les employant plaisamment.
SI FAIT
Cette expression, composée de l’adverbe « si » et du participe passé « fait », n’est plus du tout en usage aujourd’hui. Elle sert à confirmer une affirmation et équivaut à « Mais oui ».
On la rencontre souvent sous la forme répétée « si fait, si fait » (« mais oui, mais oui »). Ainsi, dans L’Avare :
HARPAGON – Vous avez entendu…
CLÉANTE – Quoi ? Mon père.
HARPAGON – Là.
ÉLISE – Quoi ?
HARPAGON – Ce que je viens de dire.
CLÉANTE – Non.
HARPAGON – Si fait, si fait.
Le Petit Robert la note vieillie ; quant au Petit Larousse, il ne la recense même plus. Et pourtant, on la rencontre encore au XXe siècle, sous la plume d’un autre grand auteur de langue française : Marcel Proust ! « “[…] Si fait, mon cher hôte, si fait, si fait”, reprit-il de sa voix bien timbrée qui détachait chaque syllabe, en réponse à une objection de M. Verdurin », écrit-il dans À La recherche du temps perdu.
D’IMPORTANCE
On devine assez aisément le sens de cette locution adverbiale, notée vieillie ou littéraire dans le dictionnaire. Elle signifie « beaucoup, fortement ».
Dans L’Avare, Molière écrit : « Si je prends un bâton, je vous rosserai d’importance. » Au XIXe siècle, elle est toujours d’actualité sous la plume de Zola qui écrit, dans La Bête humaine : « […] on venait de le sermonner d’importance. »
À la lumière de ces exemples, on remarque que cette locution accompagne toujours un verbe à connotation négative, comme ici rosser ou sermonner… Ainsi, faire ou subir une action « d’importance », ce n’est guère réjouissant !
M’AMIE
« Ma mie », qui se rencontre parfois en un seul mot, « mamie », n’a ici rien à voir avec la grand-mère. Ce terme affectueux (on dit plus savamment « hypocoristique ») est en réalité la contraction de deux mots : « ma » et « amie ». En effet, anciennement, on ne disait pas « mon amie », mais « ma amie ». Pour faciliter la prononciation, on a supprimé l’un des deux « a », élidé le « m’ », ce qui a donné « m’amie ».
Le Petit Robert indique que le terme est vieilli et familier. Il n’en demeure pas moins que Molière l’emploie fréquemment dans ses pièces.
Dans Le Tartuffe, « Vous avez pris céans* certaines privautés qui ne me plaisent point ; je vous le dis, m’amie » ; dans L’École des maris, « Non, m’amie, et ton cœur pour cela m’est trop cher » ; dans Les Femmes savantes, « Il faut que je l’appelle et mon cœur et ma mie ».
Généralement, le terme, toujours féminin, désigne l’amante. Mais il peut arriver aussi qu’il désigne l’amie, une personne chère, parfois ironiquement, mais sans connotation amoureuse :
Dans L’Avare, Harpagon, le père, désigne en ces termes sa fille, Élise :
ÉLISE (Elle fait une révérence.) – Je ne veux point me marier, mon Père, s’il vous plaît.
HARPAGON (Il contrefait la révérence.) – Et moi, ma petite fille, m’amie, je veux que vous vous mariez [sic], s’il vous plaît.
En réalité, « m’amie » désigne tout objet dans lequel on place de l’affection ! Ainsi, dans Le Médecin malgré lui : « Qu’ils sont doux, bouteille jolie, vos petits glouglous ; mon sort ferait bien des jaloux si vous étiez toujours remplie. Oh, bouteille, m’amie, pourquoi vous videz-vous ? »
À noter que par incompréhension de l’origine, le mot a parfois été découpé de la manière suivante : « ma mie », créant un rapprochement cocasse avec la mie de pain, laquelle, en dépit de sa qualité moelleuse et nourricière, n’a pourtant absolument pas sa place ici !
[* céans est traité dans la première partie de notre dossier.]
TE DIS-JE
Cette formule est fréquente dans les pièces de Molière. Par sa construction, avec sujet et verbe inversés, elle ressemble un peu à la tournure « n’est-ce pas ? », par laquelle on requiert l’attention d’un auditeur.
Utilisée dans un dialogue, « te dis-je », ou « vous dis-je » a un effet d’insistance, souvent teinté d’exaspération. On suppose que la chose a déjà été dite, voire répétée précédemment. Le locuteur peut ainsi montrer de l’impatience, voire de l’agacement. En tout cas, il défend sa position avec conviction. « Non, te dis-je » a nettement plus d’impact qu’un simple « Non » !
Par exemple, Molière écrit dans Le Malade imaginaire :
TOINETTE – Non, je suis sûre qu’elle ne le fera pas. […]
ARGAN – Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent. […]
TOINETTE – Non, vous dis-je.
ARGAN – Qui m’en empêchera ?
TOINETTE – Vous-même. […] Mon Dieu je vous connais, vous êtes bon naturellement. […] La tendresse paternelle vous prendra.
ARGAN – Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.
Et un peu plus loin : « Le poumon, le poumon, vous dis-je. »
Aujourd’hui, on tournerait plutôt la phrase comme suit : « Je vous dis que non », « Je vous dis que c’est le poumon ! », voire « Puisque je vous dis… ! ».
Chez Molière, on rencontre aussi l’incise « dis-je » dans certaines répliques. Toujours dans la même pièce : « D’où vient, dis-je, que vous parlez de la mettre dans un couvent ? » Une tournure également présente dans la célèbre « tirade du nez » dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : « Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule ! »
PIS
Littéralement, l’adverbe pis signifie « plus mal ». C’est ce sens que l’on retrouve dans l’expression « aller de mal en pis », autrement dit : « de mal en plus mal » ! Dans le même sens, on dit aussi « tomber de Charybde en Scylla », une expression d’origine mythologique, redoutable dans les dictées !
C’est aussi ce « pis » qui compose la locution courante : « tant pis » (et tant mieux !), exprimant qu’un fait est heureux ou malheureux pour quelqu’un.
Exemple, dans Le Médecin volant : « Mademoiselle, vous êtes malade ? – Oui, Monsieur. – Tant pis ! c’est une marque que vous ne vous portez pas bien. »
Et ironiquement, dans Le Médecin malgré lui : « Je me porte le mieux du monde. – Tant pis, nourrice, tant pis. »
Dans les autres cas, « pis » peut-être considéré comme étant la forme vieillie de « pire », c’est-à-dire « plus mauvais, plus fâcheux ».
Dans L’Avare, Molière écrit : « Je querellais hier votre sœur, mais c’est encore pis. »
C’est ce même « pis » qui subsiste aujourd’hui dans les expressions « Dire pis que pendre de quelqu’un », c’est-à-dire « répandre sur lui les pires médisances ou calomnies », et « un pis-aller », personne, solution, moyen à quoi l’on a recours faute de mieux.
Sandrine Campese